À Lormont, un château entier a été confié à une artiste, afin de le transformer en œuvre d’art. Une proposition artistique visible et accessible aux habitants et habitantes du coin, ainsi qu’aux visiteurs et visiteuses curieux.ses de découvrir la métamorphose d’un tel patrimoine.
L’histoire d’un château
A la fin du XIXème siècle, une bâtisse néogothique voit le jour à Lormont. Entre 1907 et 1911, son propriétaire Antonin-Emmanuel Jouin y apporte quelques modifications personnelles. C’est alors qu’on obtient ce château original, mêlant style médiéval et touches d’architecture moderne ; bâti en pierre de taille avec des rajouts en béton, tour crénelée, toiture en ardoise avec décors en zinc, etc.
Après la seconde guerre mondiale, le manoir se transforme en logements pour fonctionnaires puis, dans les années 1970, il passe entre les mains de la commune : son jardin devient le parc public du Bois-Fleuri et ses murs abriteront la bibliothèque municipale jusqu’aux années 2000. Fermé par la suite aux visiteurs à cause du début de son délabrement, la ville a choisi de le confier à une artiste pour l’inscrire dans leur projet de renouvellement urbain et en faire le symbole de l’identité culturelle de la ville. Après avoir accueilli sous son toit ce cadre de détente et de culture pour tous les Lormontais, il devient lui-même le centre de l’attention des promeneurs. Au sein de ce lieu de passage et d’errance qui fait le lien entre le bourg et le quartier moderne, le château devient, sous le regard des arbres centenaires qui le côtoient, une œuvre d’art complète destinée à évoluer avec son environnement jusqu’à sa ruine ; il devient Mirabilia. Et c’est à une artiste qu’on confie le soin de le métamorphoser en œuvre-d’art.
Mirabilia, des choses admirables
Pour redonner vie à ce bâtiment qui entame son processus de délabrement, Muriel Rodolosse joue avec le temps et les mouvements. Chacune des 63 ouvertures du château Mirabilia a été condamnée par une peinture sur plexiglas. Ce support sur lequel elle travaille depuis plus de 20 ans est idéal pour venir ici exposer l’âme et la couleur qu’elle fait ressortir du délabrement de l’ancienne bibliothèque.
Chacune des toiles nous fait voyager entre les époques, entre l’ordinaire et le merveilleux, entre l’inerte et le mouvant. Certaines nous offrent la vision d’un passé réel ou fantasmé de ces pièces aujourd’hui désertées : un mobilier ancien abandonné, un papier peint vieilli, des objets d’un autre temps disséminés dans le paysage. D’autres présagent l’avenir du château accueillant la nature entre ses murs : un bestiaire de créatures se réappropriant l’espace, une charpente morcelée qui s’ouvre en grand sur le ciel bleu ou encore des portes et fenêtres béantes qui libèrent une vue verdoyante à travers le manoir.
Le choix du plexiglas comme support de ces œuvres vient amplifier la perte de repère en reflétant l’environnement naturel du parc. Le ciel véritable se confond avec celui que l’on voit à travers le toit en ruine peint au dernier étage, on croit voir les peintures s’animer sous l’effet du vent qui souffle dans les arbres reflétés sur ces portes et fenêtres, on se fige à la vue de ce cerf de l’autre côté de la maison qui pourrait à tout moment prendre la fuite… L’artiste nous met nous-mêmes en mouvement pour faire le tour de son exposition, pour mieux observer les détails du rez-de-chaussée ou bien voir apparaître à distance un détail caché dans le coin d’une fenêtre. Durant la balade de Mirabilia, on ressent la vie qui a traversé le château, les vies qui l’observent aujourd’hui et celles qui l’occuperont après sa ruine.
Une artiste en mouvement
Cette recherche du déplacement et de l’exploration d’espaces se retrouve dans tout le travail de Muriel Rodolosse. Elle aime penser autrement l’étape de l’exposition pour soumettre les spectateurs à des contraintes qui les rendront actifs dans l’observation et la découverte des œuvres. Depuis l’étape même de la conception, elle y intègre ce concept de mouvement.
Quand il s’est agi d’élaborer les peintures pour embellir le château Mirabilia, elle est allée découvrir le bâtiment et explorer son environnement ; elle est passée par des croquis pour s’approprier l’espace et trouver comment apporter un souffle de vie à ce manoir abandonné. Elle peint selon un procédé de peintures sur polycarbonate inversées : depuis l’arrière du support, elle commence par les détails, finit par le fond, pour que la scène s’admire à travers la transparence de la vitre.
La peinture se place entre l’artiste et le spectateur qui viendra l’observer ; elle déplace sa création pour la mettre au centre de l’interaction, comme pour accentuer le partage artistique et inviter le spectateur à considérer l’entièreté de l’objet et la pluralité des regards qui y sont portés. Le travail a beau être fait en amont dans son atelier bordelais, l’intégration des toiles dans le cadre des fenêtres est si bien pensée et appliquée qu’on croirait qu’elle a peint directement depuis l’intérieur du bâtiment. L’épaisseur du plexiglas nous séparant de la peinture, apporte encore plus la sensation de poser un regard plein de curiosité à l’intérieur de chacune des pièces. Aux yeux de Muriel Rodolosse, les murs extérieurs du château se sont offerts à une exposition. Il n’est plus là pour accueillir et abriter en son sein la vie, l’art et la culture ; il les projette au monde extérieur.
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- Parc du Bois fleuri, Mirabilia. Entrée principale : 29 route de Bordeaux – Lormont
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