La Clameur : un autre podcast est possible

Véritable phénomène médiatique, le podcast inonde aujourd’hui les plateformes et la vie numérique, propulsé par de grands groupes audiovisuels ou des figures bien établies du monde des médias et de la communication. Mais qu’en est-il des studios indépendants et créateur·ices passionné·es navigant souvent dans un monde précaire ? Zoom sur La Clameur, podcast social club basé à Bordeaux, qui entend bien rebattre les cartes de la création sonore.

Phénomène de ces dernières années, le podcast étend aujourd’hui ses ramifications bien au-delà des premiers enregistrements sonores que les radios fournissaient en flux RSS. À force de se déployer sous des formes de plus en plus hétéroclites, allant de la création documentaire à l’émission thématique engagée, en passant par la webradio et l’investigation journalistique, le podcast est devenu un nouveau média à part entière.

Or s’il est souvent associé à la figure d’un·e animateur·ice connu·e des plateformes ou des réseaux sociaux, c’est à contre-courant de ce modèle que les fondatrices de La Clameur ont décidé de placer leur collectif à la manœuvre, puisant une force dans la somme des expériences partagées et permettant à chacun·e de trouver une voix d’expression.

De la création au financement : un nouveau modèle

Si un certain nombre de podcasteurs et podcasteuses peuvent être produit·es par des labels ou bénéficient de financements ponctuels, beaucoup ne parviennent pas à obtenir un statut professionnel sur le long terme. Il s’agit donc d’abord de dépasser la forte concurrence des plateformes spécialisées, basées surtout sur des individualités, et permettre à l’ensemble des acteur·ices, des technicien·nes aux créateur·ices sonores, de bénéficier d’une rémunération équitable. Mais aussi de se ré-approprier les moyens de productions, en remettant la création au centre, se détachant ainsi des considérations publicitaires et de monétisation.
Que penser en effet, d’un podcast sur les rencontres amoureuses et la vision sociale du couple, qui commencerait par un long argumentaire pour la promotion d’une des plus grosses applications de rencontre ?

Afin de répondre à ces enjeux, La Clameur propose de changer de modèle en se fondant sur les principes de l’économie sociale et solidaire. Son modèle économique est basé sur les adhésions annuelles (plus de 300) de sa communauté, servant à la production, la formation et l’organisation d’évènements autour du podcast.

L’association peut aussi organiser des émissions publiques partout en France où le droit d’entrée à prix libre permet de financer le droit de diffusion ou la location du lieu. Enfin, La Clameur est aussi un label qui produit des podcasts pour des partenaires extérieurs, assurant la création sonore, la gestion de projet ou de fonctions support. Mais les ambitions du collectif ne s’arrêtent pas là.

Promouvoir le podcast comme « objet culturel, outil de lutte contre les inégalités »

Au-delà de la réflexion menée sur les modèles économiques dans l’univers de la création sonore, La Clameur veut permettre « l’accessibilité de ce moyen d’expression aux publics éloignés de la culture numérique ». Ainsi, elle encourage « la révélation d’auteur·ices écarté·es des canaux de production en raison de leur origine sociale ou économique ».

Il s’agit donc bien de développer un véritable modèle de production s’appuyant sur l’entraide, l’expérimentation et la coopération. Comme on l’observe aujourd’hui de plus en plus au sein d’associations de création culturelle, l’accent est donc mis sur l’apprentissage collectif sur la base des expériences de chacun, sans préjugés et sans hiérarchie, afin de faire « émerger de nouvelles voix ».

La Clameur développe ainsi chaque année de nouveaux projets à travers sa Pépinière, sorte d’incubateur pour tout projet de podcast porté par un·e podcasteur ou podcasteuse amateurice. Accompagné·e d’une équipe de membres actifs de l’association, chaque auteur·ice se voit aidé·e dans les différentes étapes du processus. Dans cet esprit, sont abordés les techniques et esthétique du son, l’éditorialisation ou la communication, jusqu’à la recherche de financement et de partenariat et les conseils juridiques.

Des podcasts à la croisée de nouvelles questions sociales et culturelles

Aussi, l’association affiche clairement son envie de lutter contre toute forme d’exclusion, et son désir de redonner un pouvoir d’action à tous et toutes à travers la parole, l’échange d’idées, le témoignage et le partage de la connaissance, en s’appuyant sur des valeurs d’entraide et de solidarité.

Ses podcasts vont directement en ce sens, comme La Couleur de l’Art qui aborde la question raciale dans l’art et questionne la place qu’occupent les personnes noires sur la scène artistique internationale et leur représentation en tant que sujet ou acteur·ices du monde de l’art.

Quelques raisons de ne pas disparaitre est un podcast qui interroge les représentations de la dépression « en mêlant témoignages intimes, pratiques scientifiques et réflexion politique ». En rendant compte « de la diversité des situations » elle permet à chacun·e de s’identifier dans la parole donnée et « nous rappelle pourquoi rester, quand plus rien ne semble nous retenir ». Ce podcast, qui a déjà dépassé les 40000 écoutes, aborde des questionnements précis, souvent restés sans réponses, dans un certain flou que l’on ne sait dissiper faute d’interlocuteur·ices concerné·es ou expert·es, ou tout simplement d’un certain tabou sociétal.

Sabotage regroupe un flux de podcast pensé comme « une boîte à outil pour comprendre, s’informer et décortiquer l’extrême-droite » dans un contexte « d’inquiétude politique ambiante ». Écrit et produit à plusieurs, il est un moyen d’expression et de réflexion pour décrypter des questions prégnantes qui animent la société et l’espace public.

La Clameur, lors du Paris Podcast festival, 21 octobre 2022

La dimension éducative du podcast

Comme pour de nombreuses activités incluant un certain nombre de techniques, de connaissances ou tout simplement qui semblent appartenir à un milieu que l’on ne connait pas, il peut être intimidant de s’en rapprocher, de se lancer dans l’expérimentation avec la crainte de ne pas savoir. Il s’agit donc pour La Clameur de permettre à tous les publics de venir se former, tout en apportant leurs propres compétences. La formation en interne se fait notamment sous forme d’ateliers, portant sur tous les domaines relatifs aux différentes étapes de la réalisation d’un podcast, des techniques d’écriture à la prise de son, de la diffusion à la communication sur les réseaux.

Par ailleurs, au-delà de l’aspect formation, des rencontres permettent de discuter et d’échanger sur les nouveaux projets et développements en cours. Mais c’est aussi en phase de diffusion réelle des émissions, que l’aspect éducatif du podcast prend tout son sens, en créant un espace de débat public.

Explorer les territoires, tracer des voies alternatives

Si l’association est basée à Bordeaux, où elle a créé et émis ses premières productions, elle n’en est pas moins nomade. Ainsi, avec le désir de couvrir les milieux ruraux et périurbains, elle y propose des écoutes collectives de ses émissions suivies de débat. Mais elle peut tout aussi bien investir divers lieux bien connus en France, comme le Pavillon des Canaux à Paris ou le café Rosa à Lyon.

Le souhait est donc « d’ouvrir des espaces de débats et créer des événements publics autour de chacune de ses créations sonores » ; c’est la dimension club de l’association. « Nous redonnons au podcast sa finalité d’information, son potentiel à éveiller la curiosité, à créer le débat et à donner la parole au plus grand nombre » explique l’association. À l’heure du grand bouleversement médiatique et informationnel, comment prendre part au débat, comment apporter sa voix ? Alors que le chemin de la création sonore semble encore réservé aux aventuriers et aventurières intrépides prêt·es à endurer une vie précaire en manque de reconnaissance, La Clameur, collectif créateur, trace concrètement des voix alternatives.

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