Rencontre avec Samuel Benchetrit : un grand moment

Samuel Benchetrit, c’est ce mec qu’on retrouve un peu partout : dans notre cinémathèque, notre bibliothèque, au théâtre… Bref, un artiste aux multiples talents qui nous surprend, nous fait rire, nous émeut, et bien plus encore. C’est pourquoi le Type a décidé de profiter du FIFIB 2017 pour le rencontrer. Nous avons ainsi eu le plaisir de nous entretenir avec un artiste à l’écoute, sensible et touchant.

Crédits photos : Chloé Gingast

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Le Type : Samuel Benchetrit, vous êtes un artiste polyvalent, vous qui réalisez autant de films que vous écrivez de livres. On peut même vous retrouver au théâtre ! Pour vous, ces disciplines sont-elles complémentaires ? Les unes sans les autres, auriez-vous l’impression de ne pas totalement pouvoir exprimer tout ce que vous auriez à dire ?

Samuel Benchetrit : Je sais pas. Les choses, j’ai l’impression qu’elle se sont un peu accumulées. Moi je voulais faire des films, c’était ça qui m’intéressait dès l’enfance je crois. Mais j’ai vite compris que j’allais mettre du temps à faire mes films parce qu’ils sont un peu compliqués à faire… Donc, déjà, comme je ne suis pas riche, j’ai dû trouver d’autres solutions et expressions. Ça a commencé par le théâtre, et puis la littérature, et puis en fait je me suis un peu attaché à ces choses-là. Je me suis attaché à la littérature doucement, à avoir besoin d’écrire un livre. Après, c’est un rapport qui est totalement différent. C’est à dire, quand je pars dans un projet je sais en général ce que ça va être. Je ne me dis pas « j’écris et puis on verra bien ce que ça va donner », si ça sera un livre ou un film. Non, parce que c’est un rapport à l’intimité qui est différent. En général, quand j’ai fini un film, il y a tellement de monde, j’ai vraiment envie de me retrouver pour faire un livre, être un petit peu tranquille. Ça intéresse moins de monde, j’ai juste affaire avec un éditeur, c’est vraiment un rapport à l’intimité.

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Dans vos films, on retrouve toujours des personnages qui dégagent de la bienveillance : ils prennent soin les uns des autres comme s’ils formaient une famille. Cette bienveillance est-elle un concept central pour vous ?

Je pense que c’est vrai. Peut-être oui. Moi, j’ai foi en la tendresse. Voilà, je pense qu’elle existe partout. Et puis, la bienveillance amène la tendresse. Je veux dire ; c’est des personnages qui ont souvent plein de problèmes et, plus ils sont dans la merde, plus leur tendresse ou leur bienveillance est merveilleuse quoi. C’est un don en fait. Le dernier film, Chien, est peut-être pour moi le plus dur que j’ai fait. Il est beaucoup plus âpre que les autres. C’est vraiment un film sur la tendresse, mais c’est un personnage qui résiste à tout le cynisme, à tout. La violence, uniquement parce qu’il est empli de ça, mais c’est sûrement un point commun ouais ! En tous cas sur le fait que les personnages finissent toujours, après tout c’est pas très grave quoi. C’est pas très grave.

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Les personnages sont souvent un peu gauches… mais tellement attachants. Est-ce qu’on peut y voir une manière de magnifier la faillibilité de l’être humain dans un monde où tout doit être parfait ?

On est dans un monde qui nous explique, qui nous demande, qui s’affiche comme un monde dans lequel on doit toujours posséder plus, avoir plus : le plus mince, le plus beau, le plus riche, le plus fort. Et si on en veut pas de ça, comment on fait ? Moi par exemple, je pense qu’en vieillissant ça me correspond de moins de moins en moins d’être plus. Donc ce sont certainement des personnages qui sont dans un désert, ou alors ils ne sont pas à la bonne époque. Par exemple ces gangsters. Moi c’est ce que je leur disais, il y a ces vieux gangsters qui sont dépassés, ces deux kidnappeurs qui sont beaucoup trop gentils pour faire ça et qui auront toujours des problèmes de fric de toutes façons, ça ne se réglera jamais. Et dans le dernier, c’est le sujet, ça parle de ça. Mais évidemment, les personnages gauches j’ai toujours aimé ça et j’ai toujours aimé les films où c’était pas des problèmes d’argent, des problèmes d’enrichissement, des problèmes de bourgeoisie que je n’aime pas du tout. C’est plutôt des gens qui se rencontrent, qui essaient de s’entraider. Asphalte y avait ça. Asphalte j’ai mis du temps à comprendre que c’était un film sur la chute. C’est à dire, c’est des gens qui tombent sur un endroit dont on dit de cet endroit qu’il est mal famé, impossible, une cité HLM quoi. Et pourtant, c’est ici qu’ils vont se relever. Donc c’est pas tant l’endroit, c’est les gens qui comptent.


Est-ce qu’en voyant les autres jouer vos films vous en apprenez sur vous-même de par leur interprétation des choses ?

C’est très vrai. Les grands acteur que moi j’ai rencontré, même des très grands acteurs – Trintignant, Isabelle Hupert… des gens comme ça – ils écoutent le metteur en scène. C’est incroyable, ils écoutent le metteur en scène et ils essaient vraiment de savoir ce que le metteur en scène veut. Mais ils ont un tel univers qu’ils arrivent avec, et ils sont ce qu’ils sont. Par exemple, il m’est arrivé une histoire assez amusante : j’ai fait jouer mon fils dans un de mes films ; Asphalte. Et quelque part il joue un peu ce que j’ai vécu moi enfant. J’ai grandi dans une cité HLM comme ça, donc j’ai un peu vécu, pas tout à fait cette histoire, mais j’ai été cet enfant un peu impatient qui s’ennuyait. Et j’ai trouvé qu’il était merveilleux dans ce rôle, il était plus patient. Mais de toutes façons, le travail avec les acteurs c’est quelque chose qui évolue beaucoup aussi. Moi je parlais énormément aux acteurs. Je les surchargeais entre deux prises, je leur donnais 200 indications et c’était vraiment… Je les étouffais totalement ! Et puis le théâtre m’a appris à parler moins, alors qu’on ne parle que de ça.

Un jour j’étais avec Louis Trintignant et il était très poli, tout ça, avec son metteur en scène et je lui ai dit « il faut que tu sois plus sympathique », un truc comme ça. Et après, pendant 20 minutes j’ai argumenté. Et lui il m’écoutait gentiment, et à la fin il m’a dit « Tu m’as dit quoi au début déjà ? C’est quoi le mot ? ». Il le savait très bien. Enfin, les acteurs ils savent. Le truc c’est déjà de pas se planter quand on les choisit, c’est 50% même. Et après ça, moi je parle quasiment plus aux acteurs. Entre deux prises c’est la cour de récré. Moi il faut que ce soit un peu une cour de récré, un amusement. Je sais pas, on a tous vécu ce moment entre l’école et la maison où on est tous complètement déchaînés, où on est complètement fous. Vous voyez ce que je veux dire ? Ben moi quand j’ai ressenti ça sur mes plateaux, je me disais que c’était bien.

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Et donc finalement, il n y a qu’un seul mot qui est important.

Oui tout à fait. Il suffit de trouver le bon moment. Par exemple, moi j’ai tourné avec Jacques Doillon, et entre les prises il parle d’autres choses, par exemple de Chateaubriand ou de Benjamin Constant… De choses où tu te dis « pourquoi il me parle de ça ? ». Mais on l’écoute tu sais, c’est Doillon, il boit du thé tout le journée… 20 minutes et puis on retourne tourner et puis on se rend compte qu’il nous a rendu intelligent, littéraire. Et en fait, il nous a mis dans un état plus calme, plus littéraire. Mais il ne nous disait pas « il faut que tu sois plus calme, plus littéraire » ; non, non : il nous mettait dans cet état. C’est pour ça qu’une discussion c’est de l’intelligence. C’est comme un enfant en fait. Un enfant on aura beau lui crier dessus en lui disant « arrête », il va pas forcément s’arrêter. Mais si on lui raconte des histoires et on le distrait, alors là c’est autre chose.

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Vous pouvez nous parlez de votre nouveau film, Chien ? C’est une adaptation du livre ?

Le film est beaucoup plus violent que le livre. Parce que je n’ai adapté en fait réellement que la première partie du livre puisque la deuxième je ne pouvais pas le faire ; c’était un dessin animé, il parle avec des chiens, donc je l’ai pas fait. C’est vraiment un film sur la soumission, voilà c’est ça. C’est l’histoire d’un type qui est quitté par sa femme, qui va perdre beaucoup de choses autour de lui ; c’est à dire son logement, son argent, son boulot, etc., et qui va acheter un petit chien qui va mourir très vite et il a acheté aussi des leçons de dressage auxquelles il va aller.

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Qu’est-ce qui (ou qui) vous a inspiré ce personnage ?

Moi quand j’ai écris ce livre-là, j’avais fais une dépression avant. Je n’avais pas été très heureux dans ma vie, et je me sentais complètement en dehors du monde. Y a des moments où on se sent en dehors du monde : quand on déprime, quand on est amoureux aussi, ce sont des états extrêmes. Un mec amoureux il est plus tolérant, il est plus généreux ; mais il est aussi moins à l’écoute, il est dans un autre monde quoi, et puis ça redescend doucement. Mais ce sont des états extrêmes quoi ; la grande tristesse ou le grand bonheur ce sont des états où on est pas comme tout le monde en fait. Et donc je me sentais une sensation, un truc assez étonnant où je me disais, je sais pas, je me disais que notre monde c’était une sorte de grand mécanisme, de grand mouvement, une espèce d’immense horloge. Si y a une micro-pièce qui s’arrête, c’est éjecté. Le mouvement continue, mais c’est éjecté. Donc on est un peu en retrait et on regarde la planète tourner et elle est très surprenante en fait.

Et puis surtout, dans cet état-là, moi y a quelque chose qui s’est développé en moi, c’est à dire que je n’étais pas du tout agressif, j’étais extrêmement gentil. Je sentais que plus j’étais poli, plus ça m’allait bien et moins j’avais envie de me battre. Je n’avais pas envie de me battre pour rien, donc on pouvait m’insulter dans la rue, et je me disais : « bah… ». Je ne savais pas pourquoi, je ne comprenais pas. Ce qui est aussi un état animal. Voilà, le chien, c’est gentil, ça n’a pas d’ambition financière de vouloir plus. Un chien ça veut bouffer, c’est gentil. D’ailleurs, quand les mecs cognent sur leur chien, ils reviennent. Un chien c’est gentil, et même quand on cogne sur un chien, le chien se dit « j’ai du faire une connerie, ce mec est pas fou, c’est moi, c’est de ma faute, donc il a raison de le faire ». Ça ne se révolte pas. Donc je sais pas, y avait un lien avec ce personnage qui m’intéressait. Et puis la façon de se soumettre pour retrouver une place dans la société, ce que lui retrouve très bizarrement. S’il y a une tempête énorme par exemple ; un oiseau n’ira pas contre la tempête, il se met dans le sens du vent et il se pose plus loin, quoi. Donc je voulais travailler sur un personnage comme ça, qui était la tendresse absolue. Et donc ce personnage, je pense que les dix premières minutes du film il est agaçant, parce qu’il n’est pas comme nous, donc il n’est pas en réaction ; il est pacifique. Et c’est agaçant les pacifiques. D’ailleurs les pacifiques vivent souvent la violence hein, ils sont souvent assassinés.

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Des conseils pour des jeunes réalisateurs ? Acteurs ?

Les conseils, c’est difficile… S’il y en a un, je crois, qui est important, c’est que ce film se fait même quand il ne se fait pas. C’est à dire que si son film est annulé, si on lui dit « c’est foutu », il sera peut-être en tournage trois mois plus tard. Il comprendra que même quand on lui disait non, il était en train de faire ce film. C’est comme une histoire d’amour : une histoire d’amour c’est pas que quand les gens sont dans une chambre d’hôtel très belle et que tout est magnifique, c’est aussi quand il y a des crises, quand on se sépare, quand on décide de continuer.

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Un Très grand merci, Samuel Benchetrit !

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