Gaëlle Lorth : la danse comme expérience de décloisonnement

Rencontre avec la chorégraphe, danseuse et professeure de danse Gaëlle Lorth qui, depuis la Dordogne, porte des expériences de décloisonnement par les corps en mouvement. Jeunes publics et seniors ; amateur·ices et professionnel·les, celle qui s’inspire autant de Pina Bausch que du mandingue propose plusieurs projets qui (re)connecte certains publics grâce à l’art de la danse. Entretien.

Crédit photo couverture : Gaëlle Ciliberti

Passionnée de danse depuis son plus jeune âge, Gaëlle Lorth laisse le mouvement se libérer en elle au fur et à mesure de son évolution. D’abord avec de fortes influences issues du modern-jazz, elle se laisse ensuite bercer par la danse mandingue (en provenance d’Afrique de l’Ouest). Après plusieurs voyages au Sénégal, elle collabore et se forme avec des artistes du continent africain. Dès son retour en France, l’enseignement et la transmission vers le jeune public s’offrent à elle. La danse contemporaine va alors lui paraître être une évidence. Elle va alors devenir danseuse interprète dans des spectacles jeune public et tout public qui allient la danse et l’expression théâtrale.

Gaëlle Lorth va rassembler toutes ses expériences et ses savoirs pour créer sa compagnie Cœur en Corps, nom a l’image de ce à quoi elle aspire dans son travail artistique. Grâce à cette création, ses projets prennent vie. Elle commence avec une pièce jeune public, Patouche la mouche, qu’elle fait tourner dans les lieux dédiés à la petite enfance. Elle obtient également son diplôme d’État en danse contemporaine, ce qui lui permet de créer un véritable lieu de danse à Thiviers, en Dordogne.

Aujourd’hui, Gaëlle Lorth collabore avec d’autres artistes du territoire néo-aquitain. Elle crée des événements, comme le festival Jeunesse en Danse, où elle invite des artistes reconnu·es et fait danser ses élèves. Elle est également la chorégraphe du projet West Side Story, à l’initiale de la cheffe d’orchestre Chloé Meyzie pour le Labopéra de Périgueux.

Le Type : Bonjour Gaëlle, merci de répondre à nos questions. Pour commencer, comment souhaites-tu être présentée ? Danseuse, professeure de danse, chorégraphe ?

Gaëlle Lorth : Je pense que je me définis avant tout comme danseuse. Avant l’enseignement et la création, je sais que j’atteins mon meilleur bien-être quand je danse. Et c’est parce que je ressens d’innombrables sensations et d’émotions à travers la danse que je me sens vivante et que la transmission et l’écriture s’ajoutent. Ainsi, voilà l’ordre dans lequel je me définie par rapport à mes ressentis. Danseuse, chorégraphe et professeure de danse.

Crédit photo : Gaëlle Ciliberti

Cependant l’ordre professionnel que j’annonce est chorégraphe, danseuse et professeure, compte tenu de mon parcours artistique et la reconnaissance que j’en ai. Je suis une professionnelle qui s’est toujours battue pour vivre de sa passion, malgré les nombreuses difficultés. Les passages à vide, la vie en ruralité… Une artiste se donnant les moyens et parfois prête à tout.

Pourquoi la danse ? À quoi te sert-elle ?

J’ai découvert la danse à 8 ans grâce à ma mère qui avait ouvert une petite association de danse dans une petite ville qu’est Mussidan dans le 24 (département de la Dordogne, ndlr). Pendant 2 ans, la danse me permettait d’être moi-même, de sortir de ma timidité, d’aller au-delà de ce que j’étais. Elle était une révélation.

La danse est aussi un relationnel humain. Au collège, la rencontre de Romie Estève, maintenant chanteuse lyrique, a contribué à concrétiser mon envoûtement pour cet art. Je le trouve tellement riche. Il est à la fois inné, comme la voix. Mais aussi stimulant, sensible, multiple, ethnique, historique.

La danse me fait penser, imaginer, sourire, rire, pleurer, elle m’anime. Enfin, elle me fait toujours aller de l’avant. Elle m’a amené à vaincre mes peurs et mes angoisses. Elle m’a fait tenter ce que, peut-être, je n’aurai jamais osé. C’est ma force. 

Pendant les répétitions du projet West Side Story. Crédit photo Robert Besse.

Quels sont tes objectifs en tant que danseuse, professeure de danse et chorégraphe ?

Je veux éprouver encore plus mes limites en tant que danseuse. Et continuer de sortir des sentiers battus pour me surpasser techniquement et artistiquement. Je veux toujours découvrir, apprendre, approfondir et expérimenter. 

En tant que chorégraphe, mon imaginaire déborde, il faut faire des choix judicieux. L’objectif actuel est de poursuivre la diffusion des spectacles existants et de réfléchir au futur. Je cherche à aller au-delà de ce dont je me sens capable, les réflexions sont longues. Il est important maintenant que je prouve ma personnalité et mes capacités dans mes créations. C’est particulier mais les choses vers lesquelles je ne pensais pas m’orienter m’appellent au fur et à mesure du temps comme si inconsciemment j’avais besoin de me nourrir de défis.

Mon souhait le plus cher est de transmettre le plaisir d’être et de faire.

Gaëlle Lorth

Mon souhait le plus cher est de transmettre le plaisir d’être et de faire. En tant qu’enseignante, les acquis techniques doivent être un support pour éprouver et répandre le plaisir. La pédagogie doit amener un intérêt, celui d’être, de partager, de penser, de se dépasser, de réussir et d’aimer. Je continue à chercher pour toujours faire mieux.

Avec quel public as-tu l’habitude de travailler ?

Je travaille beaucoup avec les enfants. Ils ou elles savent me remplir de joie car ils ont le goût d’apprendre, de s’aventurer, d’être justes dans ce qu’ils ressentent : de la joie ou de l’ennui par exemple. Je n’ai pas vraiment de limite avec les publics même si parfois il m’est arrivé de me sentir sans ressources surtout quand les capacités motrices sont réduites.

Crédit photo : OPPV

À ce jour, je souhaite développer un travail régulier avec une équipe de danseur·euses professionnel·les afin d’aller plus loin dans mon écriture. Ce sont les moyens financiers et de lieu qui ne sont pas évidents pour se lancer mais c’est en route.

Je rêve de créer un lieu de résidence.

Gaëlle Lorth

Dans mon idéal, je rêve de créer un lieu de résidence. Mais aussi un lieu d’accueil et d’enseignement de la danse. Un lieu où professionnel·les, amateur·ices et non pratiquant·es curieux·ses se retrouvent. Un lieu à l’image de ce que j’ai pu évoquer précédemment : le plaisir et la libération du mouvement, le dépassement de soi et le partage de sensations fortes.

Ce qui me tient dans ce milieu c’est la niaque de percer et d’y arriver. La niaque de faire exister ce qui m’anime, ce qui me fait vibrer et qui donne sens à ma vie : la danse. C’est voir des professionnel·les du handicap qui étaient surpris de voir la réalisation dansée de leurs enfants. Ou des professionnel·les de la petite enfance étonné·es de voir la captivité des enfants lors de mon spectacle Patouch la Mouche. Ou encore lors d’ateliers où des instituteur·ices heureux·ses de ce que je leur apporte. Des élèves agoraphobes qui se sont révélé·es à l’inverse confiant·es et envieux·ses de se reproduire dans un spectacle. Bref, tout le bien physique et mental que la danse sème par ci par là.

Quels ont été tes projets les plus marquants ?

Plusieurs projets ont marqué mon histoire de danseuse et de chorégraphe. Pour en citer un qui s’est réalisé il y a tout juste quelques semaines, c’est le spectacle West Side Story du Labopéra Dordogne. C’était une chance d’avoir été choisie en tant que chorégraphe par Chloé Meyzie. C’est une cheffe d’orchestre de renom. Ce projet a réuni une centaine de personnes, amateur·ices et professionnel·les, de 6 à 80 ans. C’est un défi de faire danser autant de personnes avec des niveaux et des âges si différents sur une pièce qui n’est pas si évidente musicalement.

Un homme qui a pu assister au spectacle m’a confié : « Jusqu’à ce jour, je ne comprenais rien à la danse. Ça ne me touchait pas. Avec cette pièce, pour la première fois, j’ai compris. Et j’en ai pleuré ». Voilà ce qui me fait exister. Ce projet réunissant également des artistes professionnel·les important·es me félicitant pour le travail apporté me donne des ailes pour aller vers d’autres projets ambitieux. D’un côté je suis ravie de travailler avec des danseur·euses professionnel·les car de nouveaux possibles s’offrent à moi. Mais j’affectionne particulièrement, aussi, le travail avec les amateur·ices.

Je trouve touchante la possibilité d’amener ces amateur·ices vers un total inconnu, une découverte d’eux-même dans une pratique, une cassure des pensées de ce qu’ils sont. Qu’ils ou elles aiment ou pas, de se surprendre. J’aime aussi ce naturel qu’ont les amateur·ices. Une forme de justesse émotionnelle qui peut être moins perceptible parfois chez certain·es professionnel·les.

Pour cette approche, je fais toujours référence à la grande chorégraphe que j’admire qui est Pina Bausch, avec la reprise de sa pièce Kantakoff par des collégien·nes et des personnes de plus de 65 ans. Je trouve cela tellement fou, et le rendu artistique et humain si incroyable que j’en suis touchée. Je tends à aller dans cette direction, des projets osés et gracieux.

Quels sont tes projets à venir ?

Pour l’avenir, les projets sont nombreux mais, encore une fois, vu les circonstances économiques et culturelles actuelles, les choix doivent être le fruit d’une bonne réflexion. Concrètement, j’espère véritablement être soutenue par les institutions pour devenir une compagnie dite structurée afin de pouvoir embaucher. Pour commencer il s’agirait d’un·e chargé·e de diffusion pour le spectacle jeune public Patouch la Mouche avec Bérénice Renaud, danseuse et circassienne et le Parcours ludique de l’histoire de la danse avec le comédien Jérôme Delage.  

Mon envie est d’avoir les moyens de créer de l’emploi à travers la danse. Avoir des apports pour de nouvelles créations dont un duo pour des collégien·nes et lycéen·nes, et des projets avec danseur·euses et technicien·nes son et lumière aussi bien pour du lien avec le patrimoine, l’architecture que pour de la scène.

En parallèle, je veux continuer à me former pour donner toujours plus de qualité à ma pédagogie et mon enseignement. Enfin, la finalité serait un espace où toutes ces dimensions professionnelles pourraient profiter dans l’objectif de la valorisation de la danse, d’un professionnalisme et d’une dimension artistique à la portée de toutes et tous.

Un mot de la fin ?

Retrouvez moi du 8 au 16 juin, pour mon festival Jeunesse En Danse, à Thiviers et Nantheuil dans le Nord de la Dordogne. L’objectif étant d’éveiller à la curiosité de la danse, de casser les stéréotypes encore existants en milieu rural par la présentation de spectacles de qualité sur des lieux de vie tel que le marché, le plan d’eau, d’investir par la danse les structures culturelles telles que le cinéma, la bibliothèque… D’amener les travaux de l’année des groupes scolaires et des cours de danse sur une scène professionnelle en liant encore une fois amateur·ices et professionnel·les. D’apporter à tout à chacun·e, d’être aussi acteur·ices dans la découverte ou l’approfondissement par des stages.