Entretien avec Khali, de Palmer au label de Myth Syzer

Ses premiers morceaux ont été postés sur SoundCloud en 2017. Les traces laissées par Khali sur la plateforme orange, comme une succession d’expériences, constituent un univers remarquablement dense pour un artiste aussi inexpérimenté. À 20 ans, le rappeur de Palmer laisse déjà entrevoir une surprenante maîtrise de son identité musicale. La récurrence de certains motifs participe de cette cohérence et le travail de la voix subjugue les émotions, dans un mélange de langues et d’influences subtil. La marge de progression paraît immense. L’engouement récent autour de sa musique, notamment sur les réseaux, le positionne comme un des rookies les plus attendus de ces prochains mois. La collaboration avec Myth Syzer, annoncée début avril, a achevé de convaincre ses premiers supporters et attire de nouveaux regards. À l’aube d’une période charnière de sa vie artistique, Khali doit désormais prendre le temps de penser à l’avenir, alors tout s’accélère autour de lui.

Crédit photo : Antoine Px

Le Type : Salut Khali, merci de nous accorder un peu de temps. Comment ça va, pour commencer ?

Khali : Je vais bien, tout se passe bien en ce moment. Je vis chez mes parents à Bordeaux, donc j’ai passé le confinement en famille. Enfin, je me trouve exactement à Palmer.

Tu es originaire de Bordeaux depuis toujours ?

En fait, je suis né sur Lyon et j’ai grandi un peu là-bas, jusqu’en CE2. J’habitais à Vénissieux. Je suis arrivé à Bordeaux ensuite.

Même si tu commences à trouver un bel écho sur les réseaux, cela reste encore assez confidentiel. L’objectif de l’entretien, c’est d’apprendre à te connaître. Tu peux nous expliquer comment tu es venu à la musique ?

J’ai commencé à faire des sons il y a 3 ou 4 ans. J’écoutais déjà beaucoup de musique mais c’est en assistant à deux concerts que j’ai eu envie d’en faire moi-même. Le premier, c’était un show de Hamza à Bordeaux, en 2016. Ensuite, celui Slimka et Di-Meh, l’année suivante, m’a aussi beaucoup marqué. Je me suis dit : « ça serait cool de tester des trucs » ! Je pensais vraiment pouvoir faire quelque chose de différent. Au départ, je me suis uniquement concentré sur les prods.

Tu ne rappais pas du tout ?

Non pas du tout, et ce n’était pas dans mes ambitions. Je publiais mes prods sur SoundCloud, assez régulièrement, mais sans attentes particulières. Pendant les vacances d’été, après ma terminale, j’ai commencé à poser.

Tu as commencé seul ?

Je n’ai aucun pote dans la musique. J’ai commencé à faire mes trucs tout seul, à faire des tests. J’envoyais des maquettes à mes proches pour qu’ils me donnent leur avis, mais rien de plus.

J’imagine que ça a changé depuis quelques temps, et que tu as constitué un entourage musical. Avec qui travailles-tu ?

Niveau musique, c’est vrai que je connais un peu plus de gens sur Bordeaux. En réalité, ce sont toujours mes potes de Palmer qui m’accompagnent depuis le collège, puis le lycée. Justement, je bosse mes clips avec Antoine Px, un ami de cette époque. Depuis la seconde, on essaye de créer des trucs ensemble. On a même essayé de lancer une marque de vêtements. On était toujours en train de créer, et c’est devenu logique de poursuivre avec mes projets musicaux. Grâce à SoundCloud, j’ai aussi rencontré des beatmakers super talentueux. On a créé de vrais liens, malgré le fait qu’ils ne soient pas de Bordeaux. J’avance avec tous ces gens désormais.

Tu as commencé il n’y a pas si longtemps et, finalement, tu as fait parler de toi assez rapidement. Évidemment, tout cela s’est accéléré depuis ton intégration au nouveau label de Myth Syzer, Try to Live. Comment s’est passée la connexion ?

Fin décembre, j’étais sur Paris et Syzer m’a envoyé un DM pour me dire que mes sons étaient chauds.

Tout a démarré sur Instagram. Fin décembre, j’étais sur Paris et Syzer m’a envoyé un DM pour me dire que mes sons étaient chauds. Je l’ai simplement remercié mais, assez vite, il m’a parlé de son projet de label avec Try to Live et m’a proposé de faire un EP dessus. De mon côté, j’ai tout de suite été emballé. La DA que propose Try to Live me convient de fou et je trouve ça vraiment cohérent de les rejoindre, par rapport à la musique que je peux faire.

Dans une interview (pour Konbini, ndlr), Syzer dit qu’il apprécie particulièrement tes choix de prods. C’est un producteur qui aime expérimenter. Tu as la même approche ?

Oui, sa vision me convient vraiment. Ne pas forcément suivre le mouvement, les modes et tester des choses au risque de faire des erreurs, parfois. Moi aussi, je suis constamment dans la recherche de nouvelles sonorités et je veux aller sur tous les terrains. Je peux faire un son trap, puis un son dancehall, puis poser sur une prod à la Pi’erre Bourne pendant la même session.

Tu as déjà eu l’occasion de bosser en studio avec lui ?

Oui, avant le confinement, au début du mois de mars. Je suis monté sur Paris et on a fait quelques sessions. On a beaucoup taffé, c’était intense. J’ai également pu enregistrer avec les gars du studio 99 à Nanterre, notamment Weaky et Raaji. Du coup, oui, tout va très vite en ce moment lorsque je monte sur Paris. Je peux me connecter avec de plus en plus de monde.

Tu perçois une grande différence avec la façon dont tu travaillais avant ?

Carrément ! Avant les sessions dont je parlais, je n’étais jamais vraiment allé en studio. J’enregistre encore dans ma chambre, avec le micro gaming qu’un pote m’avait filé. Un truc de youtubeur Minecraft ! Donc oui, je te confirme, dans ma tête ça devient plus sérieux.

Cela t’a aussi permis de te « confronter » à un rappeur plus confirmé : Loveni (sur le morceau Bulletproof, ndlr). Tu en ressors quoi ?

Loveni a un profil super intéressant. J’avais une certaine façon de travailler et lui, lorsqu’il est arrivé au studio pour écrire sur la prod… il s’est passé quelque chose d’inexplicable. Sa manière de faire m’a marqué. Il se plonge vraiment dans l’ambiance du son, à l’extrême. Du coup, il a réussi à m’emmener avec lui et je suis content du résultat, il y a une bonne alchimie. C’était lourd ! En plus, ce jour-là, j’étais venu avec 3 ou 4 beatmakers de mon entourage : S2000, Weaky, Raaji, M4TIC. Il y avait une super bonne ambiance.

Avant tout cela, tu avais sorti deux projets. Notamment l’EP Palmer Wild Story, fin 2019. C’était quoi ton ambition ?

Je me suis dit : « je vais passer un petit cap ». Comme un défi avec moi-même. J’avais ma routine sur SoundCloud, ce dont je te parlais tout à l’heure, c’était cool… mais je voulais sortir de cette zone de confort. Du coup, j’ai commencé à mettre de côté quelques sons qui me plaisaient et on a travaillé les premiers visuels avec Antoine. On a beaucoup écrit tous les deux, on s’est cassé la tête. Pour l’instant, je suis fier du produit final. Même si, dans ma tête, ça reste évidemment un premier projet avec ses imperfections. On a voulu montrer notre capacité à proposer un format plus professionnel.

On a beaucoup clipé, on a fait pas mal de visuels. Pour la sortie, on a même proposé un concept de site internet sur lequel, chaque jour de la semaine, un extrait des 7 sons de l’EP et un mini-clip étaient postés. Pour y accéder, il fallait trouver un mot de passe sur mon Instagram et sur des stickers collés en ville. Ceux qui me connaissaient déjà ont bien suivi et il y a eu un peu de bouche-à-oreille, mais c’était probablement trop tôt. Je n’avais pas la même exposition qu’aujourd’hui. Avec le recul, je suis quand même fier de ce qu’on a fait : on a montré notre capacité à proposer quelque chose de plus « construit ».

On sent une vraie cohérence tout au long du projet, jusque dans la construction et l’agencement des morceaux. Comment as-tu procédé ?

À l’origine, j’avais seulement deux ou trois sons finis avec Kosei (sur les sept morceaux de Palmer Wild Story, six sont produits par Kosei, ndlr). À cette époque, il m’envoyait des prods tout le temps ! Je lui ai proposé de faire ce projet ensemble, avec un vrai concept. Du coup, il m’en a envoyé encore plus et j’essayais de trouver une cohérence avec mes textes. Je faisais attention à l’univers, même si je ne cherchais pas non plus à faire un EP thématique. Par exemple, un morceau comme « Je m’en vais » sonne dancehall alors que sur « Mille raisons », le BPM est super rapide et dégage un mood très différent. Le fil conducteur vient plutôt des textes. Je me forçais à ne pas écrire n’importe quoi. Dans un deuxième temps, je me suis demandé s’il fallait reprendre des sons déjà postés sur SoundCloud. J’aimais beaucoup certains d’entre eux et j’aurais aimé les mettre sur les plateformes. C’est comme ça que « Mille raisons », produit par Idée noire, s’est retrouvé sur le projet.

Est-ce que tu réfléchis davantage quand tu fais de la musique aujourd’hui ?

Je n’ai pas toujours l’ambition de « raconter » quelque chose même si, à chaque fois, je veux quand même laisser un message dans la tête des gens.

Je pense que ça dépend des sons. Surtout sur le projet à venir. En fait, j’ai essayé de développer une DA sur Palmer Wild Story et cette façon de penser la musique était inédite pour moi. Forcément, comme je cherchais à proposer quelque chose de cohérent, je me creusais un peu plus la tête qu’avant. Aujourd’hui, c’est toujours vrai : surtout pour des sons où j’identifie un thème précis. Mais il y a toujours un côté instinctif sur 2 ou 3 autres sons du projet, qui sont plus des bangers. Je n’ai pas toujours l’ambition de « raconter » quelque chose même si, à chaque fois, je veux quand même laisser un message dans la tête des gens.

Lorsque qu’on écoute ta musique, une certaine forme de violence se dégage alors que ton interprétation est souvent très mélancolique. C’est très bien retranscrit dans le clip de « Pas méchant », par exemple. C’est quelque chose que tu cherches à transmettre ?

Carrément ! Notre philosophie, c’est : « la rage pour réussir ». Avant de réaliser un clip ou un drive pour un projet, cette idée est toujours présente. Elle résume bien notre état d’esprit général. Et la violence, elle intervient si tu as un truc en tête et qu’on ne te le donne pas. Tu vas t’énerver pour l’avoir. Tout dépend du mood de l’instant, en fait. Par exemple, je n’ai pas enregistré un morceau turn-up depuis longtemps, parce que je ne suis pas dans cet état d’esprit. Mais si cela change ou si je reçois une prod énervée, ça repartira directement.

Tu as déjà fait de la scène ?

J’ai déjà pu me produire sur trois « vraies » scènes. La première : ce n’était pas vraiment une scène en fait car c’était à la fête de la musique, l’année dernière (rires). On avait organisé un genre de « bloc party », avec plein d’invités de Bordeaux. L’EP venait de sortir, et c’était donc l’occasion de faire un peu de promo. Les passants ne nous connaissaient pas forcément et on était bien placé. Du coup, on a rassemblé pas mal de monde. C’était vraiment une bonne expérience ! J’ai publié des vidéos du concert sur Instagram et j’en garde un très bon souvenir. C’était ma première expérience en public. Quelques mois après, j’ai eu l’opportunité de faire la première partie de Di-Meh lors de son concert à l’IBOAT. Très cool aussi. Dernièrement, j’ai fait la première partie d’Ikaz Boi dans une grande salle. J’ai bien kiffé ! C’était pour l’inauguration du collectif « Studio Amour ». J’étais le seul live dans une soirée full DJ set. C’est $hxde, un DJ bordelais, qui a m’a invité.

Tu as pu échanger avec Di-Meh et Ikaz ? D’autant plus que, à première vue, ce sont des artistes potentiellement réceptifs à la musique que tu proposes.

J’ai pu parler avec Di-Meh, oui. En fait, j’ai pu avoir sa première partie grâce à un pote en commun. C’est vraiment une coïncidence incroyable ! En 2018, il y avait un concert de l’Ordre Du Périph’ et Nusky à la Rock School Barbey organisé par Krumpp (une association organisatrice de concerts à Nantes et Bordeaux, notamment, ndlr). Ils m’avaient justement invité pour parler de premières parties. J’ai donc eu des places pour les concerts et il y avait ce mec : le pote de Di-Meh. On s’est parlé et, presque instinctivement, il m’a demandé si je rappais. Ensuite, on a gardé contact et à l’occasion du concert de Di-Meh à Bordeaux, je l’ai DM en lui proposant d’assurer la première partie. J’ai envoyé quelques sons pour les faire écouter à Di-Meh et s’il kiffait : « let’s go ». Apparemment, il a bien aimé !

Et toi, qui est-ce que tu écoutes ?

Actuellement, je suis en train de me saigner à Nav. Son dernier projet est très chaud ! J’écoute beaucoup de Lil Uzi, surtout la version Deluxe de son dernier album. Sinon, Lil Keed et Lil Gotit… des gars un peu comme ça. En France, je n’écoute pas beaucoup de sons en ce moment. Même si je ne suis pas en mode « la France, c’est naze, etc… ». Dernièrement, j’ai pas mal kiffé le projet Laylow par exemple. La DA est incroyable !

Tout à l’heure, tu évoquais Pi’erre Bourne. Pour préparer l’interview, j’ai justement réécouté une émission sortie au moment de Die LitPlayboy Carti, le gimmick roi », par NoFun, ndlr). C’est un gars que tu as écouté aussi ?

Oui, de fou, à l’époque de Die Lit justement ! Je l’ai vraiment saigné et je suis toujours très intéressé par son actualité. Son truc de Baby Voice… ça m’a marqué.

Dans presque chacun de tes sons, on trouve une référence à ta mère. C’est pour elle que tu fais du rap ?

Quand j’utilise le mot « Maman », il englobe toute la famille. Et oui, l’objectif est de sortir de notre situation et de pouvoir vivre de ce qu’on aime. C’est un peu plus large finalement. En fait, après mon bac, j’ai traversé une période où je me disais : « je fais quoi en fait ? ». Les portes d’avenir que l’on me proposait ne me convenaient pas. J’ai quand même continué mes études, je suis d’ailleurs toujours dedans… mais pour aller où ? Je pourrais continuer, mais où est-ce que cela va me mener ? Depuis quelques temps, j’ai l’impression que seule la musique me motive vraiment. C’est la seule chose que je serais prêt à faire gratuitement, avec plaisir, et sans gagner d’argent directement. Je suis vraiment dans cet état d’esprit en ce moment : trouver quelque chose qui me plait et qui peut m’apporter des sous plus tard, pour sortir de ma situation.

Tu vas tout de même continuer à faire la musique la musique que tu aimes ?

Exactement ! Justement, pour en revenir à Try to Live et parler de l’avenir, ma vision coïncide avec tout cela. Dans ma tête, je n’avais pas forcément en tête de signer quelque part, malgré les propositions. Je sens que Syzer a confiance en moi. Si je lui propose une idée, il va aller dans mon sens et me soutenir.

Sur Twitter, il y a quelques semaines, tu as écrit « Game changer ou j’arrête ». Tu te souviens ?

Oui, bien sûr.

Qu’est-ce que cela signifie pour toi ?

C’est casser les codes. Je regarde souvent les propositions artistiques qui viennent des USA. Surtout sur le marché mainstream. Par exemple, dernièrement, j’ai regardé le concert de Travis Scott sur Fortnite. C’est fou que des mecs aussi gros là-bas aient une DA aussi innovante. J’ai l’impression qu’ici, lorsque tu commences à péter, les majors peuvent rapidement te pousser à faire de la musique dansante « commerciale ». Et ce n’est pas une critique en soi, car je pourrais tout à fait écouter ce genre de musiques moi-même. Seulement, je trouve que la manière dont les majors produisent les artistes aux USA est hyper intéressante.

Le dernier projet de Laylow, Trinity, est un game changer

Après, je suis tout à fait conscient de ce que je suis. Je viens de Bordeaux donc je ne veux pas « faire le mec des States ». Et il y a de beaux exemples à suivre, même ici. Tout à l’heure, je te parlais de Laylow : pour moi, son dernier projet (Trinity, ndlr) est un game changer. Il est arrivé avec un concept très marqué. Il a aussi une scénographie incroyable. Ses concerts… ce sont de vrais shows, des spectacles au sens propre. Il a prouvé que suivre son délire, l’assumer et le pousser au maximum peut fonctionner… je trouve ça fou ! Et pour parler d’autres exemples ici… je dirais Hamza. Il a quand même apporté un vrai truc à la France.

De ton côté, on peut s’attendre à de nouveaux projets prochainement ?

Oui carrément, un nouvel EP devrait arriver bientôt ! Sûrement un 10 titres, avec Try to Live. Dans les semaines qui arrivent, il y aura aussi un son enregistré avant le confinement avec Syzer (qui sort mercredi 27 mai, et qui s’appelle « Demain », ndlr). Puis je continue à faire des morceaux tous les jours, comme avant.
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