Ces nouveaux gros festivals qui débarquent à Bordeaux : « C’est David contre Goliath »

Depuis quelques années, Bordeaux voit émerger de nouveaux festivals portés par des opérateurs – certains qualifiés de « grands groupes » – extérieurs au secteur associatif du territoire. Ces apparitions suscitent parfois des craintes et des critiques à l’échelle locale. D’autres parlent de complémentarités à explorer. L’analyse qui suit entend décortiquer ce phénomène qui interroge la structuration de l’écosystème festivalier bordelais tout en posant la question du rôle des politiques publiques locales face à une telle dynamique, dans un contexte de grande difficulté pour le secteur.

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Pourquoi aucun festival d’envergure dédié aux musiques électroniques ou actuelles, organisé par une structure du territoire, n’a émergé à Bordeaux sur les dix dernières années ? Si de nombreux·ses acteur·ices animent cette scène, il reste difficile à ce jour d’identifier un festival ayant pu s’imposer comme une référence hexagonale. C’est dans ce contexte que plusieurs opérateurs privés extérieurs à la ville s’immiscent dans le tissu culturel local en implantant leur événement.

Des arrivées qui crispent et qui font parfois grincer des dents les acteur·ices de la scène locale. Si certain·es y voient des opportunités de coopération entre des structures de taille complémentaire, d’autres s’interrogent sur le rôle des politiques publiques face à de telles apparitions. Comment expliquer cette spécificité bordelaise ? Et quel est l’impact de ces arrivées pour les associations locales ? Dans cette dynamique, quel rôle doivent jouer les collectivités locales ?

Ces festivals qui « débarquent » 

Brunch Electronik et Hypnotize : en 2025, deux poids lourds de l’événementiel ont fait irruption dans le paysage musical bordelais. Le premier est porté par Brunch Electronik France. « Né à Barcelone en 2011 » avant de s’« exporter à travers le monde (Madrid, Lisbonne, Paris, Lyon, São Paulo, Los Angeles…) » et de « débarquer cette année à Bordeaux » comme l’indique sa page Shotgun, le festival de musiques électroniques a bénéficié d’un accompagnement d’une personnalité locale dans son implantation sur le territoire. Et du concours de la Mairie, qui a accepté sa demande d’occupation de l’espace public : le festival a eu lieu sur l’emblématique place des Quinconces les 7 et 8 juin derniers.

Hypnotize festival, nouveau festival rap à Bordeaux, dont la première édition est organisée les 5 et 6 septembre 2025.

De son côté, Hypnotize est un festival de rap organisé par Fever, grand groupe spécialisé dans l’organisation d’événements. Petite spécificité : son modèle est basé sur de la recommandation personnalisée. L’entreprise, qui vient de lever des fonds – elle en avait déjà levé 200 millions auprès de Goldman Sachs en 2022 –, entend s’imposer comme « première plateforme technologique indépendante dédiée aux divertissements ».

À Bordeaux, le groupe est déjà derrière l’organisation d’Initial, « le plus grand festival électro » de la ville, comme il se présente lui-même. Cette année, l’événement a eu lieu les 29 et 30 août 2025 au Parc des Expositions, soit une semaine avant Hypnotize (5 et 6 septembre) qui se déroule au même endroit.

La place des Quinconces à Bordeaux, où s’est déroulée la première édition du festival Brunch Electronik les 7 et 8 juin 2025. Ici une scénographie du collectif Cmd+O pour un événement du collectif bordelais L’Orangeade.

L’arrivée de ces poids lourds n’est pas un phénomène nouveau mais confirme une tendance : Bordeaux est devenu un terrain de convoitise pour des acteurs du divertissement externes à la ville. Avant Brunch Electronik et Hypnotize, on peut citer notamment Initial (2021) ou Madame Loyal (2023). Des discussions semblent également en cours concernant l’implantation locale d’un autre mastodonte du secteur : Garorock.

On assiste à une accélération de l’implantation à Bordeaux de nouveaux festivals gérés par des grands groupes privés.

Maxime Longuet (journaliste indépendant)

Cette dynamique était interrogée en 2023 par notre confrère Maxime Longuet pour Rue89 Bordeaux. Dans son article Ces festivals électro qui déboulent avec leurs gros sabots à Bordeaux, il étudiait déjà l’arrivée de ces acteurs. « Au moment de l’écriture de l’article, personne ne savait trop jusqu’où ce phénomène allait aller » évoque-t-il en se remémorant cette période. « Lorsque ces gros festivals sont arrivés, certains collectifs collaboraient avec eux. Certains y voyaient un tremplin en termes de visibilité, là où d’autres rejetaient plutôt cette dynamique. Finalement, peu osaient se mouiller : la plupart parlaient d’adaptation et de complémentarité. » Aujourd’hui, le journaliste indépendant l’affirme : « On assiste à une accélération de l’implantation à Bordeaux de nouveaux festivals gérés par des grands groupes privés. »

En 2023, le média local Rue89 Bordeaux interrogeait déjà le phénomène de l’arrivée de grands festivals à Bordeaux.

Concentration du paysage musical

La tendance s’inscrit dans un contexte plus large : celui de la concentration du secteur musical, français comme européen. À savoir : « l’arrivée de groupes capitalistiques au sein de la filière des musiques actuelles », comme le révèle une cartographie du chercheur Matthieu Barreira, publiée par le Syndicat des Musiques Actuelles (SMA) et récemment mise à jour. On y découvre que 10 opérateurs contrôlent une grande partie de cette industrie et que de nouveaux acteurs majeurs émergent.

Parmi eux, Fever (organisateurs d’Initial et du nouveau Hypnotize Festival à Bordeaux), « une société espagnole créée en 2014 qui propose des recommandations d’événements dans plus de 100 villes ainsi qu’une billetterie afférente, mais qui produit ou coproduit également des événements (…). Fever est ainsi présent dans plus de 40 pays. » Autre nouveau poids lourd présent dans la région (et bientôt à Bordeaux ?) mentionné dans la cartographie du chercheur : Klaus-Peter Schulenberg. Via sa filière CTS Eventim, société actionnaire majoritaire de France Billet, il détient le festival Garorock « ainsi que plus de 40 festivals en Europe ».

La cartographie des dix plus importants opérateurs privés dans la chaîne de valeur des musiques actuelles en France, réalisée par Matthieu Barreira et publiée par le Syndicat des Musiques Actuelles.

John C Malone figurait pour sa part déjà dans la première mouture de la cartographie. Avec Live Nation, ce soutien de Donald Trump possède de nombreux festivals et possède aussi notamment la billetterie Ticketmaster. À Lyon, Live Nation était l’un des co-producteurs du festival Brunch Electronik, aux côtés d’Atlas Artists – une agence de booking elle-même fondée par Live Nation – et du collectif Encore. Ce géant de l’industrie musicale ne semble pas impliqué dans l’organisation de l’édition bordelaise de Brunch Electronik (contacté, les organisateur·ices de Brunch Electronik Bordeaux n’ont pas répondu à nos questions, l’une d’elles portait précisément sur la gouvernance de l’événement). Interrogé sur le sujet, Yohan Delmeire, Directeur de la création artistique et des territoires de la Ville de Bordeaux confirme que Live Nation n’est pas impliqué dans l’organisation de Brunch Electronik Bordeaux.

Au-delà de Live Nation, la filiation de Brunch Electronik avec le groupe Superstruct Entertainment soulève des questions. Racheté en 2024 par KKR, un fonds d’investissement « soupçonné d’investir dans les territoires occupés par Israël », le groupe détient un portefeuille de festivals qui font l’objet de boycotts depuis plusieurs mois. C’est le cas du festival barcelonais Sónar, de Field Day, de Monegros, de DGTL… Des campagnes actives du public et d’artistes accusent ces événements d’être complices de la politique israélienne et du génocide en cours à Gaza. Si en Espagne des manifestations semblent avoir eu lieu contre Brunch Electronik Barcelone pour ces raisons, la partie française ne semble pas avoir été impactée à ce jour.

Quelle que soit l’identité de son propriétaire ou de son actionnaire, l’arrivée d’un tel festival au niveau local n’est pas sans inquiéter le tissu culturel bordelais. Un écosystème principalement porté par des associations – notamment lorsqu’on évoque les musiques électroniques – s’appuyant souvent principalement sur du travail bénévole. Une structuration qui n’est sans doute pas étrangère à la perméabilité du territoire face à ces grands festivals portés par des groupes privés nationaux voire internationaux.

Bordeaux n’a jamais fait de transition vers le grand événement musical.

Yohan Delmeire (Directeur de la création artistique et des territoires de la Ville de Bordeaux)

La singularité de la scène musicale bordelaise et la perméabilité d’un territoire

« Bordeaux a longtemps manqué d’un événement de grande jauge ». Pour Yohan Delmeire, Directeur de la création artistique et des territoires de la Ville de Bordeaux, l’une des raisons qui explique l’arrivée de ces grands rendez-vous est l’absence de festivals de référence au niveau local : « La ville n’a jamais fait de transition vers le grand événement musical ». Dès lors, il est aisé pour certains nouveaux entrants de s’auto-qualifier de « plus grand festival électro de Bordeaux », bien que d’autres initiatives plus anciennes et locales se développent à Bordeaux, d’Adrénaline porté par L’Orangeade, en passant par Bordeaux Electronic Week, Bordeaux Open Air ou Isulia, pour n’en citer que quelques-uns dans le champ des musiques électroniques.

Pour les nouveaux acteurs arrivants, la ville a d’ailleurs un certain nombre d’atouts : une ville jeune, avec 80 000 personnes âgées entre 15 et 29 ans – soit 30% de la population. Et, grâce au travail à l’année d’une grande diversité de collectifs, une scène musicale très dynamique. Autant d’arguments qui peuvent « attiser les convoitises » de grands groupes.

Autre point important pour comprendre la structuration de la scène musicale bordelaise : son dynamisme associatif. Yohan Delmeire a décompté la création de 450 nouvelles associations en 2024 à Bordeaux. Toutes ne sont évidemment pas portées sur la musique, mais cela illustre une certaine vitalité. Selon un calcul réalisé par la rédaction de Le Type, on dénombre en 2025 au moins une centaine de promoteurs d’événements de musiques amplifiées actifs (toutes esthétiques confondues, ayant organisé au moins un événement sur l’année écoulée) au niveau local, pour l’ultra majorité portés par des associations, souvent de manière bénévole. De quoi expliquer en partie l’absence d’un acteur historique central et structurel au sein de ce paysage artistique.

Il faut s’associer entre collectifs pour avoir plus de poids et de moyens face à ces grands groupes. En collaborant, les collectifs locaux ont la force du nombre.

Le collectif bordelais La Superlative

D’aucuns évoquent par ailleurs le manque d’unité d’une scène électronique bordelaise qui peine encore à coopérer (bien que l’on se doive de noter un dialogue plus poussé entre ses entités depuis plusieurs années), alors que la plupart de ses acteur·ices proposent des activités où les synergies pourraient être de mise. C’est le constat que dresse par exemple La Superlative pour qui « Le temps n’est plus à la guerre entre collectifs, mais à l’unité si on veut avoir notre carte à jouer face à ces mastodontes de la fête. Avant on montait un collectif pour avoir plus de force vive lors de l’organisation d’événements, désormais il faut s’associer entre collectifs pour avoir plus de poids et de moyens face à ces grands groupes. En collaborant, les collectifs locaux ont la force du nombre. » Notant également ce « morcellement » de la scène bordelaise, le journaliste indépendant Maxime Longuet s’interroge : « Cette nouvelle arrivée de festivals ne va-t-elle pas accentuer la nécessité d’un front uni ? » 

De la « difficulté de rivaliser face à ces blockbusters »

Concrètement, comment mesurer les impacts de l’implantation de ces grands festivals pour le paysage musical local ? Diez, fondateur de Rest in Zik, un événement dédié à la culture hip-hop à Bordeaux, aurait dû organiser une nouvelle édition en septembre 2025. Mais l’arrivée d’un festival comme Hypnotize sur les mêmes dates que lui l’a poussé à le déplacer en décembre, à la Salle des fêtes du Grand Parc. D’ici là, il a quand même organisé un before le 2 août dernier au Square Dom Bedos.

Hypnotize s’est positionné sur le même week-end que nous. Il n’y a pas de doute sur leurs intentions.

Diez (Rest In Zik)

« On ne peut pas rivaliser » face à Hypnotize explique-t-il. « Ils arrivent avec un truc beaucoup plus gros que ce que peuvent faire des indépendants comme nous. Ils se sont positionnés sur le même week-end que nous. Il n’y a pas de doute sur leurs intentions » analyse cette personnalité installée de longue date au sein du paysage culturel bordelais.

Diez, fondateur du festival bordelais dédié au hip hop Rest In Zik, contraint de déplacer son événement à cause de l’arrivée du festival Hypnotize sur les mêmes dates que le sien.

Pour se rendre compte de la différence d’échelles entre les initiatives, un coup d’œil à la programmation d’Hypnotize suffit. Booba, Vald, SCH – pour ne citer que 3 des têtes d’affiches de l’événement. « Il nous aurait fallu une décennie pour monter un line-up comme eux » remarque Diez. L’organisateur de Rest in Zik revient par ailleurs sur la société derrière cet événement, Fever, un « groupe international. Il n’y a pas un seul acteur local dans l’orga ! Et quasiment aucun nom de rappeurs locaux, à part Maydo et JASEM » (depuis notre entretien avec Diez, le festival Hypnotize a rajouté des artistes de la scène locale sur sa programmation via une scène « Backstage experience », ainsi qu’un after organisé par Quartier B à Bien Public, ndlr).

Difficile dès lors pour les acteur·ices du territoire de « rivaliser face à ces “blockbusters” pour des raisons évidentes financières. » confie Hugo, co-fondateur du collectif BIOME. La plupart de ces événements de grande ampleur ont en effet des moyens bien supérieurs à ceux d’associations locales, et peuvent parfois proposer des éditions à perte, dans une perspective de long terme d’implantation sur un territoire. La plupart des structures locales ne peuvent donc pas s’aligner face à ces acteurs – et ne le souhaitent d’ailleurs pas pour la plupart –, d’autant que le contexte économique est particulièrement tendu pour le secteur culturel indépendant, notamment festivalier. Un horizon que partageait notamment le SMA dans son Bilan de la saison 2024 des festivals.

Le festival bordelais Rest In Zik.

Ancrage local

Justement, du côté des collectifs de musiques électroniques bordelais, un même sentiment est partagé face à des grands raouts comme Initial ou Madame Loyal. Beaucoup constatent le manque d’intérêt de ces derniers à collaborer avec des acteur·ices de la scène locale, comme l’évoque Marc de La Maskarade selon qui il est « dommage que ce type de festival ne pense pas assez aux acteurs locaux, sachant qu’à Bordeaux on a une scène intéressante. »

Ces mastodontes impactent les ambitions locales et menacent nos propres événements en cas de date concomitante, car malheureusement on ne peut pas rivaliser avec eux.

Collectif Cmd+O

D’autres ont une vision encore plus critique. Selon eux, l’installation de tels festivals de grande ampleur menacerait la pérennité de certains collectifs locaux. Le collectif Cmd+O est une structure bordelaise active depuis 2017 dans le champ de la scénographie et de la musique. Il a vu arriver un certain nombre de ces festivals : « Ces mastodontes impactent les ambitions locales et menacent nos propres événements en cas de date concomitante, car malheureusement on ne peut pas rivaliser avec eux » selon lui. Il se remémore d’ailleurs l’arrivée d’Initial qui, pour sa première édition, avait sollicité L’Orangeade alors que ce collectif bordelais organisait déjà un événement aux mêmes dates que le festival, « démontrant bien qu’ils ne s’étaient pas renseignés sur ce qu’il se passait dans la région au même moment. C’est dommage de poser les dates d’un festival d’une telle taille le même week-end que celui où un festival local se déroule ».

Une scénographie pensée par le collectif bordelais Cmd+O : Bamboom (du collectif WILD, 2024, Square Dom Bedos).

En tant que collectif de scénographes, l’équipe de Cmd+O constate par ailleurs un manque de singularité de ces événements à grande échelle : « Avec une partie de l’équipe, on est allés à Madame Loyal ; on y retrouve des scénographies qu’on retrouve dans chacune des villes dans lesquelles ils s’implantent. Il n’y a pas de contexte local mis en avant. Lorsque Cmd+O est sollicité dans un lieu en particulier, on tient compte des gens et du lieu dans lequel on s’installe. On ne refait jamais la même chose, le but étant d’être reliés au contexte, aux enjeux sociaux, économiques et géographiques (voire architecturaux).  » Une approche résumée par un membre du collectif TAPAGE : « Ce sont des groupes qui ne sont pas familiers avec la ville, ni avec sa scène. Ils n’y voient qu’une opportunité financière à long terme. »

S’étant rendue à la première édition bordelaise de Brunch Electronik les 7 et 8 juin derniers, Louise Lequertier, du collectif L’Orangeade confirme cette impression : « J’avais envie d’y aller pour voir les artistes programmé·es, mais j’y ai vécu une expérience assez décevante. On s’y sent utilisé·e comme des porte-monnaies, tout est très cher. On te fait payer une consigne pour ton gobelet et on ne te la rend pas ! Il n’y a pas d’effort de scéno, sauf une scène qu’ils reprennent à chacune de leur édition alors que les organisateur·ices promettaient une mise en scène et une ambiance inédite” »

Elle indique par ailleurs avoir rédigé un commentaire sur les réseaux sociaux pour faire part de son désarroi : celui-ci a été supprimé par les équipes du festival. D’autres dénoncent l’absence quasi totale d’artistes de la scène locale programmé·es sur l’événement. Fin mai, le festival Millésime à La Réole avait aussi critiqué dans le journal Sud-Ouest le manque d’ancrage de tous ces nouveaux festivals.

Des complémentarités à explorer ?

Pour la Mairie de Bordeaux, l’arrivée de ces nouveaux festivals en ville ne doit pas se faire au détriment des acteur·ices du tissu culturel local. Yohan Delmeire indique faire preuve de « vigilance » à cet égard, tout en reconnaissant qu’il est nécessaire de réfléchir à des « hybridations pour faire travailler tout le monde ensemble ». C’est la vision que défend également le festival Initial, porté par Fever, dont les équipes expliquent avoir pensé leur événement « comme un festival profondément ancré dans le territoire local. Nous sommes convaincus que l’énergie d’un événement repose aussi sur sa capacité à dialoguer avec son environnement culturel. » Pour son édition 2025, le festival indique par exemple avoir confié la programmation d’une scène à Eczodia, « un artiste bordelais en pleine ascension sur la scène hard techno internationale » et travaille également avec Bruit Rose Productions, un studio de scénographie basé à Bordeaux.

Notre objectif n’est pas d’entrer en concurrence avec les autres acteurs culturels bordelais, mais d’offrir une expérience inédite et complémentaire qui viendra enrichir l’offre culturelle.

Les équipes de Fever (groupe derrière les festivals Initial et Hypnotize)

Quid d’Hypnotize, le festival de Fever dédié au rap ? Là aussi, ses équipes déclarent attacher « une grande importance à l’intégration de la scène locale dans (sa) programmation. » Une importance que l’on peut relativiser comme expliqué précédemment, avec seulement deux artistes locaux sur son affiche (modifié depuis, avec des artistes de Bordeaux annoncé·es quelques jours avant l’événement). Le festival précise aussi qu’il a noué un partenariat avec Buzz Booster, un dispositif de repérage et d’accompagnement dédié aux artistes portés par la Rock School Barbey et le Rocher de Palmer.

En résumé, les équipes de Fever assurent que leur objectif « n’est pas d’entrer en concurrence avec les autres acteurs culturels bordelais, mais d’offrir une expérience inédite et complémentaire qui viendra enrichir l’offre culturelle. Si l’offre se développe, c’est aussi parce que le public est au rendez-vous, ce qui est une excellente nouvelle pour toute la scène culturelle. » Une observation que d’autres acteur·ices du territoire peuvent partager dans une certaine mesure.

Le rôle de la puissance publique

Malgré cette vision optimiste, plusieurs associations locales s’interrogent sur le déploiement de tels événements et le rôle que la puissance publique doit jouer face à des acteurs qui ne jouent pas vraiment dans la même catégorie. Louise Lequertier du collectif L’Orangeade questionne notamment « la localisation de certains de ces festivals sur l’espace public ». Organisant depuis deux ans leur propre événement place des Quinconces, elle peine à comprendre pourquoi la ville laisse un acteur comme Brunch Electronik investir ce lieu « alors que l’espace public est censé servir au plus grand nombre, servir d’inclusion et de mixité sociale. Avec des places à 50 euros la place en tarif normal, le message envoyé est différent. »

Un événement du collectif bordelais L’Orangeade sur la Place des Quinconces.

Le Directeur de la création artistique et des territoires de la Ville de Bordeaux Yohan Delmeire se défend de tout favoritisme vis-à-vis de Brunch Electronik. « Ce type d’acteur privé paye une taxe d’occupation de l’espace public explique-t-il ; ce sont des conditions différentes de celles proposées aux associations que nous soutenons par ailleurs, pour qui nous faisons des mises à disposition gracieuse, pour lesquelles une prise en charge des frais électriques est notamment proposée. L’exigence n’est pas la même. » Il signale par ailleurs pouvoir expérimenter avec ces gros événements ce que des structures locales de tailles plus modestes ne peuvent pas assumer : « Pour la première fois, l’organisateur (Brunch Electronik, ndlr) a pris à sa charge une mesure d’impact et la mise en place d’un nouveau système son immersif. Résultat : aucune plainte du voisinage. Ça n’était jamais arrivé suite à l’organisation d’un événement de cette envergure sur la place des Quinconces. »

Plus généralement, Yohan Delmeire entend rappeler le soutien de la Ville pour l’écosystème musical local, notamment en ce qui concerne les musiques électroniques. Ainsi, en 2020, 6000 euros étaient alloués pour les acteur·ices de ces cultures en subvention de fonctionnement ; « Aujourd’hui c’est 75 000 euros ». Les mises à disposition de sites dépasseraient selon lui les 500 000 euros de valorisation. « Par ailleurs, poursuit-il, en 2024, il y a 85 dates de concerts qui ont été organisées dans des lieux en plein air de la ville, entre juin et septembre. Parmi eux, 65 concernaient les musiques électroniques. » Le message est clair : la Ville accompagne et soutient les acteur·ices de la scène locale, et les festivals évoqués qui s’installent à Bordeaux « ne sont pas traités de la même manière, notamment car ce ne sont pas des associations ».

Mais difficile pour la collectivité de ne pas voir l’intérêt d’accueillir une telle manifestation de la taille de Brunch Electronik : « cela représente 150 contrats d’intermittences, tous les food-trucks étaient locaux. » Tout en rappelant que ce n’est pas la ville qui invite ses acteurs. Concernant les événements se déroulant au Parc des expositions, comme Initial, Hypnotize, Madame Loyal ou Sonora, il est plus dur pour la Mairie de leur imposer des conditions : l’exploitation du lieu est confiée à des structures dans le cadre d’une délégation de service public.

Il ne s’agit pas de mener une bataille contre ces organisations. Soyons simplement conscient·es que nous proposons des événements indépendants, auto-produits, quasiment auto-financés, sans groupes privés derrière nous.

Louise Lequertier (collectif L’Orangeade)

L’union et la coopération : l’avenir de la scène bordelaise ?

Face à cette récente dynamique à l’œuvre au sein du paysage musical bordelais, deux visions cohabitent – ou s’opposent, c’est selon. Certain·es y voient l’occasion d’hybrider les secteurs, de travailler en complémentarité. D’autres identifient des modèles antagonistes, comme Louise Lequertier : « Il ne s’agit pas de mener une bataille contre ces organisations. Soyons simplement conscient·es que nous proposons des événements indépendants, auto-produits, quasiment auto-financés, sans groupes privés derrière nous. »

Il est essentiel que les collectifs locaux se soutiennent afin de pouvoir résister. Il y a un sentiment de « David contre Goliath ».

Hugo (collectif BIOME)

Une conscientisation à mener également auprès des publics, qui doivent pouvoir choisir en bonne conscience entre différents événements, comme le suggère la campagne du SMA Vous n’êtes pas là par hasard, destinée à préserver l’indépendance et la diversité des festivals musicaux, afin de « déclencher une prise de conscience des publics pour leur indiquer que les événements qu’ils fréquentent, indépendants et alternatifs aux rassemblements guidés essentiellement par des logiques de profit, ne sont pas définitivement acquis. »

Selon la plupart des structures interrogées, l’avenir de la scène bordelaise doit nécessairement passer par un rapprochement et une union entre ses acteur·ices. C’est ce que suggère Hugo, de BIOME : « Il est essentiel que les collectifs locaux se soutiennent afin de pouvoir résister. Il y a un sentiment de « David contre Goliath”. » Une nécessité partagée par Louise Lequertier de L’Orangeade : « On a besoin de solidarité, d’entraide, de soutien les uns envers les autres. Que ce soit entre les associations, avec la presse locale, avec les services culturels de la mairie. Car on ne fait pas le poids – on n’a pas les mêmes moyens. »

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