Rencontre avec clarence, l’essor du shoegaze bordelais

Étoile montante de la scène bordelaise, clarence s’impose avec un shoegaze à la fois captivant et onirique. D’abord habitué des caves enfumées, le groupe – composé de Clarisse, Clélia, Hugo et Ohian – a marqué les esprits notamment lors de la finale du Tremplin des Deux Rives. Rencontre avec Clarisse et Hugo pour évoquer leur rapport à la scène, leur premier album Smudge et l’effervescence de la scène underground bordelaise.

Le Type : Clarisse, est ce que tu peux te présenter et raconter la genèse du groupe ?

Clarisse : Je m’appelle Clarisse, ça fait 6 ans que je suis à Bordeaux, et 2 ans que je fais de la musique. C’est durant mes études que j’ai rencontré un pote qui m’a initié à plusieurs groupes de Bordeaux et à d’autres personnes qui étaient de la scène locale. À force d’aller voir des gens jouer ça m’a moi-même donné envie de montrer ma musique et de m’y mettre réellement. J’ai commencé la guitare vers mes 13 ans, mais mes premiers enregistrements datent de mes 18-19 ans. À la base, je faisais plus de la pop, mais j’ai changé de registre en m’intégrant petit à petit à la scène rock/underground de Bordeaux. J’avais juste envie de faire comme mes potes ça avait l’air fun (rires).

C’est en faisant la rencontre de SIZ, un artiste bordelais qui tient un groupe, que j’ai commencé à composer pas mal de morceaux. On est en juin 2023 à ce moment-là, et j’avais envie de commencer à m’enregistrer pour de vrai, de monter un groupe. J’avais déjà un petit groupe avec Clélia qui faisait de la basse. Je lui ai donc proposé de jouer de la basse dans le groupe. En parallèle, je commençais à être pas mal pote avec Hugo que je trouvais trop fort ; je lui ai donc aussi proposé. Puis on a rencontré Oihan en cherchant un·e batteur·euse. Le groupe s’est formé assez naturellement à ce moment-là.

Vous avez sorti Smudge le 13 septembre dernier, sous le label Flippin Freaks. Peux-tu revenir sur le processus de création de cet album, notamment les choix artistiques qui ont guidé la conception de ces dix titres ? Étant votre premier véritable projet, revêt-il une signification particulière pour vous, tant sur le plan musical que personnel ?

Clarisse : La création de l’album s’est faite en plusieurs parties. J’avais déjà composé toutes les maquettes de mon côté quand j’ai rencontré SIZ. Sur un an, j’ai réalisé 11 titres. 10 sont sortis sur les plateformes de streaming et il y avait un titre secret. En studio, SIZ m’a aidé à arranger l’ensemble des morceaux, il a fait tout le mix et le mastering, il a ajouté pas mal de guitares et de batteries, tandis que moi j’ai enregistré les voix et les basses. On a fait ça à la campagne, c’était super chouette. Par la suite, avec le groupe, on a arrangé les sons live de manière à pouvoir les jouer sur scène. Le record était terminé fin septembre 2023 et le mix/master était conclu fin mai 2024. L’album est sorti assez rapidement après.

Je compose mes morceaux assez spontanément. C’est moi et ma guitare, dans mon salon. Je chante, j’écris ; en général ça vient tout seul.

Clarisse (clarence)

Je compose mes morceaux assez spontanément. C’est moi et ma guitare, dans mon salon. Je chante, j’écris ; en général ça vient tout seul. C’est assez aléatoire, je n’ai pas vraiment de méthode. Il y a des sons qui ont été créés en une soirée et d’autres sur une période plus longue. 10 titres étalés sur un an, c’est pas énorme. À la base, je n’étais pas dans une optique de faire un album, je voulais juste faire du son. Mais, au fur et à mesure, j’avais assez de matière et je me suis dit que c’était trop bête de ne pas proposer un projet.

Smudge n’est pas un album avec énormément de cohérence. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de réel lien entre les sons, hormis quelques exceptions où ce sont des morceaux que j’ai fait dans une période de temps assez courte. La production est vraiment l’élément qui lie tout le projet, notamment grâce au groupe et à Hugo qui a beaucoup influencé l’arrangement live.

On voulait vraiment créer une version live de Smudge, où les musiques qu’on joue sur scène contrastent avec les musiques qu’on a fait en studio

Hugo (clarence)

Hugo : On voulait vraiment créer une version live de Smudge, où les musiques qu’on joue sur scène contrastent avec les musiques qu’on a fait en studio, pour créer une vraie énergie live, avec des transitions, des morceaux plus longs, des modifications subtiles au niveau de la production etc. Là où l’album studio a vraiment un style « singer/songwriter » avec des morceaux assez courts, sur scène on voulait donner plus de matière et de cohérence à ce qu’on joue.

On trouvait vraiment intéressant d’avoir deux facettes des morceaux de l’album. C’est aussi un moyen de rendre les scènes qu’on joue plus uniques et donner de la plus-value pour le public. On n’a pas pour projet de sortir un projet live de Smudge même si on aimerait bien faire une session enregistrée avec le groupe.

Clarisse : D’une certaine manière, l’album porte une signification pour moi, parce qu’il est très personnel et je suis rattachée aux moments où j’ai fait les morceaux. C’était souvent des moments de down, des choses que j’ai vécues qui m’ont inspirées sur le coup. Tout est ciblé dans le temps.

Peux-tu nous parler brièvement de ton processus de songwriting ? Et parmi les morceaux que tu as écrits ou composés, lequel t’a le plus marqué, tant sur le plan créatif ou émotionnel ?

Clarisse : Comme je disais, c’est vraiment sur le moment, y a un truc qui m’arrive je rentre chez moi, je pleure un coup et je prends ma guitare. En général, je fais le morceau d’une traite. Puis je reviens très rarement dessus après coup. J’aime laisser une trace assez « raw » sur mes morceaux.

Le morceau qui m’a le plus travaillé c’est sans doute « stay », celle qui sonne le plus emo finalement (rires). Sur ce son je voulais aussi sortir de mon confort couplet-refrain / couplet-refrain, donc j’ai pas mal aimé faire le son et je me sentais plus créative là-dessus. Je voulais que ça sonne moins pop dans un sens. J’écoutais pas mal le groupe Wednesday à ce moment-là. Je suis assez fière de la version qu’on a fait pour le live aussi, je trouve qu’elle est très réussie.

Est ce que tu pourrais parler de la cover de Smudge ? La pochette est visuellement forte et intrigante, avec son papillon et ses motifs organiques. On dirait une fusion des covers des deux singles « stay » et « track » qui ont précédé la sortie de l’album. Comment s’est déroulée la conception ? Qui l’a réalisée, et y avait-il une idée précise, un message ou une dimension artistique que vous souhaitiez transmettre à travers ce visuel ?

Clarisse : Il faut savoir que tous les gens dans le groupe ont une relation forte avec des ami·es qui font des arts visuels. On est proches de pas mal de gens dans des écoles comme les Beaux-Arts par exemple. C’était donc assez naturel pour nous de faire appel à quelqu’un qu’on connaissait dont on admire le travail pour réaliser notre cover, et ainsi de la mettre en avant.

J’ai une amie qui s’appelle Anouk Laplace que je connais depuis très longtemps, elle avait sorti des illustrations qu’elle avait faites à l’encre que j’avais pas mal aimé. Je lui ai demandé si elle pouvait me faire des déclinaisons dans ce style un peu dégoulinant, qui ressemblait à un papillon. Suite à quoi on a choisi la pochette principale ainsi que les deux qui seraient utilisées pour les singles

Je souhaitais une illustration plutôt qu’une photo parce que je trouvais que c’était bien que la cover reste un peu énigmatique et abstraite, sans qu’elle en dise trop. Au final, elle colle aussi parfaitement avec le nom de l’album, « Smudge », qui rejoint un peu le délire d’encre qui bave et de tâche qui s’étale.

Quelle est votre perception de la scène shoegaze/dream pop en France ? C’est un style de musique qui paraît confidentiel, assez peu représenté et peu accessible, en marge des courants dominants. Partagez-vous ce sentiment ? Et pensez-vous que des villes comme Bordeaux, avec sa scène locale, offrent un environnement propice à l’émergence de groupes comme le vôtre ?

Hugo : Personnellement je ne connais pas beaucoup d’artistes qui font ce style de musique tel qu’on le fait ou qui s’en rapproche en France. Forcément, on connaît nos potes sur Bordeaux comme le groupe Cosmopaark, SIZ ou Opinion qui ont des influences shoegaze. Mais hors scène locale, avec un regard extérieur, on se rend compte qu’on n’en connaît pas vraiment. Pourtant, j’ai l’impression que c’est un style un peu à la mode en ce moment et qui plaît autant sur le plan esthétique que musical. 

Je pense déjà que le shoegaze en France est un genre qui est écouté depuis peu. C’est aussi un style de musique qui est honnêtement dur à faire. C’est-à-dire que c’est de la musique qui est souvent liée aux effets de guitares, qui est difficile à gérer, qui demande une connaissance approfondie. C’est une esthétique tellement marquée musicalement qu’elle ne parle pas non plus à tout le monde.

C’est souvent difficile d’expliquer aux ingés sons comment on veut que nos guitares sonnent.

Hugo (clarence)

Pour nous, c’est souvent difficile d’expliquer aux ingés sons comment on veut que nos guitares sonnent, notre manière de jouer au niveau du son. Il y a pleins de petits freins comme ça qui rendent le style assez difficile à prendre en main. En tout cas plus que des styles comme le garage et le post-punk par exemple.

Clarisse : Je pense aussi que les personnes non-initié·es à ce style de musique seront forcément moins réceptif·ves. Quand les gens vont au Relâche Festival pour voir des groupes de garage, c’est hyper entraînant. Tandis que notre style de musique est plus lent, moins dansant et moins parlant de manière générale. Elle parle donc à un public plutôt de niche. Ce qui est cool je pense avec notre groupe et ce en parti pourquoi on plait, c’est parce que c’est pas uniquement du shoegaze. Notre musique mêle aussi pas mal de dérivés de la pop, ce qui peut parler à plus de personnes qui ne sont pas forcément dans cette scène de base non plus. 

Hugo : Globalement, je vois un peu une ville comme Bordeaux comme une petite Californie dans le sens où il y a une grosse influence du style garage californien et australien. C’est une ville qui laisse aussi une place importante à la culture du skate donc ça rejoint et diversifie les influences. Je rajouterais qu’à Bordeaux la scène rock alternative bénéficie d’autres scènes comme les scènes un peu plus expérimentales qui mettent en avant des artistes comme Alicia Laib, Fetish et d’autres qui font partie du label amour sisterhood qui représente bien cette scène.

Un des freins principaux c’est le fait que les groupes majeurs de ces scènes niches ne passent pas à Bordeaux, qui est pourtant une grande ville. Je trouve ça dommage car ça ralentit l’évolution de notre scène à nous. Les salles s’aventurent moins à programmer des artistes de niche et ça influence moins les gens à découvrir.

Clarisse : Historiquement le lieu qui donne le plus de visibilité aux artistes et groupes de scènes niches à Bordeaux c’est l’IBOAT. Rien que pour ça, merci à eux de prendre des risques et de programmer des artistes peu mis en avant. De manière générale, je pense que les gens ne sont pas assez curieux et ne s’intéressent pas assez aux artistes et styles de musique un peu niches à Bordeaux.

Quels artistes ont le plus influencé votre musique, en particulier dans les genres du shoegaze et de la dream pop ?

Clarisse : Évidemment c’est pas possible de ne pas citer les gros noms comme my bloody valentine, Slowdive, Cocteau Twins, Lush. Plus récemment c’est des groupes comme Wednesday, TAGABOW, Hotline TNT, et Weed qui m’ont influencé notamment pour composer. C’est plus ou moins du shoegaze même si ça varie entre le noise et la dream pop qui forment un triangle, dont tous les groupes de ce style naviguent entre les trois genres. Personnellement j’ai grandi avec énormément de Kate Bush, mais je dirais que mes plus grosses influences restent l’indie rock des années 1990/2000 comme The Strokes, Pavement, Phoenix

Hugo : Moi pour le live je suis un peu plus influencé par un style électronique ; Broadcast, Stereolab, ou untitled (halo) qui se rapproche du trip-hop. Je trouve que c’est intéressant de rajouter de la texture et des effets ambient au shoegaze sur scène. 

Depuis la création du groupe, vous êtes passé·es par des scènes variées, allant des caves et lieux intimistes de Bordeaux jusqu’à la grande scène de la Rock School Barbey lors de la finale du Tremplin des Deux Rives. Quel est votre ressenti global vis-à-vis de la scène ? Pouvez-vous nous parler brièvement de votre expérience au Tremplin des Deux Rives, notamment vos impressions lors de la demi-finale et de la finale ? Trouvez-vous plus d’authenticité dans l’énergie des petites salles ou une satisfaction différente sur les grandes scènes ?

Clarisse : En réalité, je pense que notre musique ne se prête pas à des gros shows où à ce que le public saute partout. Ça joue sur le fait qu’on paraisse assez timide sur scène. Dans les caves où on a joué, on est souvent au même niveau que le public. Personnellement ça m’angoisse de devoir lever les yeux pour voir les gens. Je trouve ça assez intimidant, je regarde souvent le sol d’ailleurs (rires).

Finalement, je me suis surprise à préférer jouer des grosses scènes, comme le tremplin des deux rives en l’occurrence. J’ai quand même préféré la petite plutôt que la grande, je sentais davantage l’énergie du groupe étant donné que la scène était plus petite – celle de la grande salle nous éloignait un peu trop entre nous, donc notre cohésion se ressentait moins.

Je me sens hyper exposée face à face avec le public, mise à nue, j’ai du mal à être à l’aise dans des moments comme ça.

clarence

Mais par exemple, quand on a joué avec Hugo pour le showcase à Total Heaven j’étais tétanisée parce que j’avais les gens vraiment devant moi ; je lève la tête je voyais tout le monde, en plus c’était en acoustique donc pas de batterie ni rien pour me sauver (rires). Je me sens hyper exposée quand je suis face-à-face avec le public, mise à nue. J’ai du mal à être à l’aise dans des moments comme ça.

Hugo : Je n’ai pas une grande expérience des grandes scènes même si j’ai déjà joué au Krakatoa avec un ancien groupe, mais c’est vrai que là le contexte de tremplin était particulier ; l’ingé son doit faire un son pour tout le monde, et pour notre style c’est particulier d’avoir cette espèce de distance, cette hauteur. La grande salle de la Rock School Barbey se prête bien aux grands shows, mais pour notre groupe ça semblait un peu dissonant. Je me sens plus à l’aise sur des plus petites scènes, comme celles qu’on a déjà fait dans des caves par exemple. 

Clarisse : Ce qui est bien pour nous dans les petites scènes c’est que ce sont les potes qui viennent nous voir, on peut demander à des gens qu’on connaît de nous faire le son qu’on veut, le public est souvent plus réceptif etc. Ce sont des conditions plus adéquates et qui nous mettent plus en confiance malgré tout.

En quelques mots, que peut-on attendre de la suite pour clarence ?

Clarisse : Pour donner des infos concrètes, déjà il va y avoir des CDs physiques qui vont sortir d’ici Janvier, en lien avec notre label Flippin’ Freaks et un autre label qu’on annoncera plus tard. Il y a aussi une tournée en préparation dans plusieurs villes de France, environ 6-7 dates. On est trop content·es et on a très hâte !

Sans surprises, on va aussi se lancer sur un second disque, on va retourner en studio assez vite. On voudrait retravailler nos compos et mettre en avant notre formule live, qui n’existait pas lorsque j’ai composé moi les sons de Smudge. On a déjà des nouveaux morceaux.

Hugo : Contrairement à Smudge qui ressemblait plus à une collection de morceaux sans réel lien, là on va essayer de faire une approche qui a plus de sens, de corréler davantage les sons et de travailler une vraie unité.

Qu’est ce que vous écoutez en ce moment ? Des recommandations de tout genre pour nos lecteurs et lectrices ?

Clarisse : On écoute beaucoup Opinion qui ont sorti des sons récemment, il n’y a pas une personne à Bordeaux qui connaît ce groupe et qui ne les aime pas ! Il y a aussi Edgar Déception, un groupe français qu’on aime beaucoup, et pour des choses moins locales j’écoute toujours Pavement et les Smashing Pumpkins en permanence ça bouge pas. 

Hugo : Moi je kiff trop le premier album de eat girls, un groupe de Lyon qu’on a vu il n’y a pas longtemps à l’IBOAT. Y a un côté 80s un peu dark, j’aime beaucoup leur esthétique donc c’est ce que j’écoute pas mal en ce moment – j’en parlais tout à l’heure il y a aussi untitled (halo). Sinon tout le label amour sisterhood y a pleins de sorties récentes, je conseille fortement ils ont pleins d’artistes talentueux·ses.