Vendredi 2 novembre, 20h30, le public impatient attend le show de Jazzy Bazz au Rocher de Palmer. Les premières basses retentissent, et un troupeau déchaîné fait irruption sur la scène. C’est le WL Crew, un groupe de rap bordelais, qui a peu de temps pour chauffer et convaincre le public. C’est chose faite, la salle est en feu. Mais au fait, pouvez-vous citer un seul rappeur bordelais ? Si Orelsan réalise l’exploit de placer Caen sur la carte de France du rap, pourquoi Bordeaux, neuvième plus grande ville de France semble exclue de la discipline ? Nous avons rencontré le WL Crew dans leur studio, improvisé dans une chambre de leur colocation, afin de comprendre ces raisons qui empêchent l’éclosion de talents bordelais.
Photo : Astrid Lagougine
« Tout seul tu vas plus vite, à plusieurs tu vas plus loin », 2zer Washington
S’il existe quelques talents comme Odezenne ou Joey Larsé, la scène bordelaise reste faible. Tout d’abord, il faut savoir que le hip-hop vient à l’origine des banlieues, ce qui peut expliquer que cette culture est très récente à Bordeaux, contrairement aux grosses métropoles comme Toulouse, Lyon, Marseille qui comportent une scène développée depuis plus longtemps. La culture rap est bien présente à Bordeaux seulement depuis que ce genre appartient au mainstream, car c’est une ville bourgeoise qui manque de grosses banlieues. Et c’est un handicap à l’heure où le rap occupe tous les podiums de ventes.
Le WL Crew a d’abord été marqué par un état d’esprit de compétition dans leurs premiers open-mics, ce qui selon eux n’est pas favorable au développement d’une scène riche, variée et rayonnante. « Il est nécessaire de composer ensemble pour aller plus loin car seul, les chances sont moindres d’aller au bout de nos envies, cela requiert une motivation particulièrement forte ». Et à Bordeaux, les initiatives manquent pour permettre de faire rayonner la scène à plus grosse échelle. Si vous souhaitez apprendre à connaitre le rap bordelais, le WL Crew vous conseille des scènes ouvertes dans des bars de la ville, l’Iboat, ou la Rock School Barbey.
« Dire j’ai pas de matos ou pas de contacts c’est un truc de victime », Orelsan
Maintenant que l’on sait qu’il existe une scène bordelaise, comment expliquer le faible nombre d’artistes ? Manque de matériel ? « Le morceau « El Presidente », de Jazzy Bazz est enregistré avec le micro de son MacBook » nous informe Flam, le beatmaker du groupe WL Crew. « Peu importe la qualité du son, si on travaille dur et qu’on est bon, cela se remarquera ». Un seul morceau dans un studio professionnel peut coûter entre 500 et 750 euros au total, ce qui peut décourager l’amateur qui pense faire un album, des clips, et promouvoir sa musique. Heureusement, il existe des alternatives.
Tout d’abord, des studios comme le leur sont accessibles par bouche à oreille à moindre coût. Aussi, la « politique de la ville » qui permet un accès à la culture pour les personnes les plus démunies est une option intéressante. Tout le monde peut se rendre à la Rock School, et discuter de son projet artistique avec le gérant de la salle afin de bénéficier d’aides. « Obtenir des dates c’est plus compliqué, il faut démarcher les salles et ne pas désespérer, même si on commence par des salles miteuses de campagne devant quatre kikis, deux enceintes, et le micro tu le trouves, même s’il n’y en a qu’un sur deux qui fonctionne ». Ensuite, plus on fait de musique, plus on arrive à se produire sur scène, plus on a de bons retours, il faut y aller petit à petit.
« Monter à Paris parce que c’est là-bas l’avenir » Bigflo
La plupart des artistes que vous connaissez sont parisiens. En effet, c’est sur la capitale que se trouvent les salles, structures, professionnels, ou médias les plus prestigieux. C’est pourquoi c’est un climat propice à la culture populaire. Mais est-il nécessaire d’y habiter pour réussir dans la musique ? « Un parisien a peut-être plus de chances qu’un provincial. Mais c’est dangereux de tout quitter pour faire carrière à Paris. Si on arrive à se faire un public local, alors on peut augmenter l’échelle petit à petit. Et puis pour faire de la musique il faut être nomade, on est amené à beaucoup bouger, on ne peut pas non plus faire carrière en restant toujours dans la même ville. » Bigflo et Oli par exemple revendiquent toujours leur ville rose, mais n’y habitent plus beaucoup du fait de leur succès.
Paris n’est donc pas utile pour un débutant bien qu’elle soit plus appropriée, mais elle devient une nécessité lorsqu’on atteint un certain stade. La concurrence y est rude, mais il est aussi plus facile d’établir des contacts, de se faire repérer. C’est grâce à leur esprit de groupe que des talents peuvent surgir, ce qu’il manque à Bordeaux. Certains rappeurs dont Nekfeu ont réussi grâce au collectif l’Entourage. Ce dernier soutient le groupe Panama Bende, qui voit aujourd’hui briller leur pépite PLK. Pour se développer, les rappeurs bordelais doivent oser, et composer ensemble. Et c’est bien ce que le WL Crew compte faire.