Du 20 au 23 juin 2024, le CAPC embarquera dans un voyage vers un autre monde, celui des mutations. Avec le festival L’Académie des Mutantes, le musée des arts contemporains cherche à mettre en lumière une beauté insaisissable qui se cache à la frontière des différentes pratiques artistiques et culturelles. Entre rencontres, projections et performances, le festival porte un regard neuf sur les évolutions de nos mondes contemporains.
Crédit photo : Fallon Mayanja © Lafayette Anticipations, par Martin Argyroglo, 2022, AtelierSon
Altération, évolution, métamorphose, transformation… L’idée de mutation évoque un changement par rapport à une situation de départ. Les corps mutent, se modifient par rapport à cet environnement pour mieux s’y adapter. Déviant·es de la norme, les mutant·es se situent aux marges de la société.
L’Académie des Mutantes, un festival hybride sur les mutations des mondes
Quelles sont les mutations contemporaines ? Comment se manifestent-elles ? Sans nécessairement vouloir ni pouvoir donner une réponse arrêtée à ces questions, l’Académie des Mutantes essaie de saisir un cliché artistique de ces mutations.
Le festival met ainsi au premier plan des spectacles vivants et artistes polymorphes. Il se situe à la croisée entre différentes techniques, inspirations et disciplines. Cédric Fauq, commissaire en chef du CAPC, affiche avec cet événement une volonté d’« éviter que ce soit seulement de la performance typique de ce qu’on pouvait voir dans l’art contemporain mais des formes plus hybrides, des performances plus impures qui se nourrissent à la fois de la danse, de la mode, des jeux vidéos, du cinéma… »
Les mutations ne sont pas uniquement physiques. Ici, l’art permet de penser les corps comme les esprits. Il met en dialogue les marginalités et les différences tout en se nourrissant de l’unicité de chaque point de vue. Le festival offre ainsi une communauté à ces artistes mutant·es qui peuvent se saisir d’un espace d’expression dédié, dans lequel tous les yeux et toutes les oreilles sont tournés vers elles et eux.
Une temporalité propre et changeante
Le format même de l’Académie des Mutantes suit les logiques de mutations. Il change chaque année pour évoluer au gré des performances et des artistes. Cédric Fauq parle même d’un « festival sans fin. » La première édition, en 2022, s’était tenue sur une durée de 3 semaines, avec des programmations les vendredis et samedis, au CAPC ou hors les murs.
Cette année, le festival se déploiera 3 jours dédiés pour faire vibrer Bordeaux à la force des mutations. Les artistes sont par ailleurs invité·es à développer leur travail sur deux éditions du festival. « Ça nous permet d’accompagner ces artistes sur un temps plus long que les autres. » explique le commissaire en chef du CAPC. Une première étape de création doit être dévoilée cette année avant de révéler la création finale l’année prochaine. Les mutations de Matthieu Barbin (Sara Forever), finaliste de Drag Race France 2, et de Low Lov, musicienne transdisciplinaire afroféministe seront ainsi les objets d’échanges sur les processus de développement d’une œuvre. L’art n’est pas là un travail fini mais avant tout un travail en train de se faire.
L’édition 2024 : un espace d’écoute pour les voix mutantes
Une réflexion autour de la voix et des espaces d’écoute guide la programmation de l’édition 2024. Comme l’indique Cédric Fauq : « Pour la première fois, on a une forme de fil rouge, vis-à-vis spécialement de ce que veut dire parler, ce que veut dire élever la voix, ce que veut dire se faire entendre, et comment s’écouter mutuellement. »
Qu’il s’agisse de la voix au sens de l’expression et de la parole, ou les techniques développées aujourd’hui autour de la voix comme le lipsync, tous les médiums seront mobilisés pour explorer ce questionnement. L’occasion de penser la formation des voix, leur portée, leur réception. Par extension, la façon dont est habité et vécu l’espace public est aussi placée au centre des interrogations. Le statut de mutant·e comprend de facto une différence de traitement par rapport aux voix majoritaires ou bruyantes en société.
L’Académie devient dès lors une opportunité de se réapproprier sa voix, et de prendre le temps de la (re)construire grâce aux pratiques artistiques. Par exemple, la performance hybride de l’artiste colombienne Maria Fernanda Ordoñez, allie théâtre, ventriloquisme et magie pour transmettre son message. L’iranien Aliaskar Abarkas mène quant à lui son projet The Community Whistling Choir (La chorale du sifflement commun), dans lequel il invite le public à se joindre à lui en sifflant des airs révolutionnaires.
Enfin, les projections des films de Yuli Serfaty adressent l’interdépendance entre la nature et les systèmes de pouvoir, tout comme la rencontre avec l’anthropologue Jean-Louis Tornatore. Tout se révèle politique avec les mutations. Dans la brèche des relations de pouvoir, les voix contestataires ou déviantes deviennent des points de repère pour ne pas se perdre dans un monde lui aussi constamment en évolution.
Transmettre les mutations
Toujours dans la continuité de faire porter sa voix, cette édition de l’Académie insiste sur la transmission. Au-delà des performances et des rencontres, des ateliers ont fait irruption dans la programmation afin que les publics échangent avec des professionnel·les, des artistes et des militant·es sur des sujets comme l’écriture, l’autoédition, ou la musique.
L’art peut avoir un impact au-delà de l’expérience esthétique, peut nous changer profondément.
Cédric Fauq (Commissaire en chef du CAPC)
Cédric Fauq précise : « Il y avait aussi cette idée que peut-être l’expérience de l’art elle-même permet de muter en tant que spectateur et spectatrice. L’art peut avoir un impact au-delà de l’expérience esthétique, peut nous changer profondément. » Le cycle d’atelier commence notamment avec la session de mixage sonore par Fallon Mayanja. La voix devient ici un instrument que l’on peut enregistrer, distordre et remixer. L’artiste ouvre un espace d’écoute quasi infini où chacun·e peut faire porter sa voix et prêter l’oreille à celle des autres. Sur papier, Flo*Souad Benaddi propose quant à lui un atelier fabrication de zines. Le graphisme et l’écriture y sont alors un autre moyen de communiquer les mutations en cours dans les corps et les esprits.
Finalement, en devenant un espace de création et d’écoute pour des voix souvent tues, l’Académie des Mutantes 2024 se porte garante de l’inclusivité des minorités et marginalités dans le monde de l’art. C’est ce qu’explique aussi Cédric Fauq : « L’Académie fait la place à des artistes qu’on pourrait qualifier comme venant de minorités, qui se revendiquent de pensées, pratiques et théories féministes, queer, décoloniales… »
L’Académie ouvre alors la voie à une déconstruction et à une décolonisation des savoirs en créant une communauté d’artistes aux identités uniques. Les mutations montrent que le savoir est situé. Par conséquent, chaque évolution ou déviance de la norme permet une explosion de nouvelles connaissances, qui ne demande qu’à être partagées. Et quel meilleur moyen que l’art pour toucher les cœurs, au-delà des différences ?