Les nuits bordelaises, par Nina et Richard (Parallel)

Terrain de jeu des DJs de la scène locale et des noctambules à Bordeaux, le Parallel est un lieu culturel nocturne située non loin de la Gare Saint-Jean, au 9 Rue Charles Domercq. Il est connu pour son offre musicale prenant le contre-pied d’autres clubs locaux, ouvrant généralement ses portes en plein milieu de la nuit, autour de 2h30 le printemps et 5h00 l’hiver, tout en poursuivant la fête jusqu’à la fin de matinée à 11 heures. Ouvert en 2019, le club réunit depuis tous les weekends des amoureux·ses des musiques électroniques de tous horizons, le club est devenu in onco. Pour ce premier volet de notre nouvelle série Les nuits bordelaises, nous sommes entretenu·es avec Nina, gérante du lieu et Richard, DJ résident et technicien.

Crédit photo : Théo Miège

Les nuits bordelaises est une nouvelle série d’articles dédiée à celles et ceux qui façonnent la vie culturelle nocturne à Bordeaux. Gérant·es de clubs, promoteur·ices d’événements, activistes de la nuit : ils et elles partagent leur vision sur l’évolution des nuits bordelaises et sur la scène artistique locale.

Le Type : Bonjour Nina et Richard, merci d’avoir pris le temps de nous rencontrer. Pouvez-vous commencer par vous présenter et présenter le Parallel ?

Nina : Le Parallel est un établissement ouvert en 2019 qui a profondément une âme d’after. En hiver, on ouvre de 5h00 à 11h00. À partir du printemps, il peut être ouvert de 2h30 à 11h00, parce que les gens sont plus à l’extérieur. Je suis la gérant du lieu.

Quand on s’est posé·es après le Redgate, on s’est dit qu’on aimerait bien proposer quelque chose qui n’était pas proposé sur Bordeaux : un lieu post-club

Nina (Parallel)

Avant cela nous avions un lieu appelé Le Respublica. Ce dernier était un complexe de 2400 places, avec 2 salles. On y organisait des soirées hardtech, trance, techno… Après, on a eu le Redgate, qui était une transition entre le Respublica et le Parallel. Ces clubs avaient des amplitudes horaires plus « classiques », de minuit à 7 heures du matin. Finalement, quand on s’est posé·es après le Redgate, on s’est dit qu’on aimerait bien proposer quelque chose qui n’était pas proposé sur Bordeaux : un lieu post-club.

Crédit photo : Théo Miège

Richard : Je suis Richard, j’ai 54 ans. J’ai 35 ans d’expérience dans la nuit : je fais de la musique électronique depuis 1989. J’ai donc connu les débuts de la musique électronique, je suis DJ depuis le début et toujours maintenant. Je m’occupe de la technique son et lumière ici. J’ai besoin de créer. Le Parallel est un projet qu’on a muri depuis plusieurs années au niveau des horaires. Le jour où on a eu l’opportunité, on a foncé. J’aurais aimé le faire beaucoup plus tôt, mais on ne pouvait pas car les afters n’avaient pas vraiment bonne presse. Il fallait trouver une façon légale de le faire. 

Comment fonctionne le lieu en terme de programmation notamment ?

Nina : On a une programmation majoritairement faite de DJs de la scène locale. On voulait mettre plus en avant cette scène, qui n’était pas forcément beaucoup représentée auparavant. Après, on a une programmation qui est une vraie sélection, on veut aussi avoir une certaine âme artistique, une certaine qualité de DJ sets. Il y a aussi des résident·es qu’on a sélectionné. On est tout équipé en Funktion One (nom d’un système son pour club, ndlr) et on fait attention aux types de prestations qui peuvent être données : on sélectionne beaucoup.

On est toutes et tous là pour passer un bon moment et vivre une émotion commune.

Nina (Parallel)

Quelle est la philosophie et l’ADN du club ? Que souhaitez-vous exprimer et raconter à travers ce club ?

Nina : C’est d’offrir un espace de liberté dans lequel tout type de personne peut se retrouver, se mélanger. On peut avoir une soirée avec des gens qui viennent de pleins d’univers confondus, de plein de soirées précédentes. Le moment de l’after est un moment particulier pour les gens ; c’est l’après-club. On est toutes et tous là pour passer un bon moment et vivre une émotion commune. Les plus beaux moments que j’ai vécu dans l’univers du club, c’est regarder le dancefoor où il y a plein de personnes issu·es d’univers complètement différents et où au final tout se passe bien. C’est un mélange hyper atypique, comme une recette : ni trop peu, ni trop pas assez. Il y a une émotion commune, ils et elles la partagent toutes et tous. Et après, chacun suit sa route. 

Crédit photo : Théo Miège

Richard : Avant tout, on veut se dissocier du système de DJ-star. On veut que les gens viennent avant tout pour le club, qu’ils ou elles soient assuré·es de la qualité de a proposition musicale, pour pouvoir passer un bon moment. Le lieu est très axé techno et house. On travaille avec peu d’associations ou de collectifs, on a réduit le nombre de nos DJ résident·es : ça nous permet d’avoir une certaine cohérence et qualité. Les gens ne se posent plus vraiment la question pour savoir qui mix tel ou tel soir, sauf peut-être quelques connaisseurs ou connaisseuses.

Il y a une âme particulière quand c’est un after, une sorte de magie générale

Nina (Parallel)

À quelle communauté s’adresse ce lieu à Bordeaux ? 

Nina : Je pense à du vrai clubber. On accueille véritablement des gens qui aiment la musique, prêt·es à poursuivre la fête après 7 heures du matin. Ils et elles sont là pour passer un bon moment, ont encore plein d’énergie ; chacune de ces personnes aiment profondément la musique. Je l’ai vu dans tous les lieux qu’on a eu : il y a une âme particulière quand c’est un after, une sorte de magie générale.

Comment percevez-vous l’évolution de la scène nocturne culturelle bordelaise ?

Nina : Il y a de plus en plus de propositions. Ce qui est chouette, c’est que dès que le printemps arrive il y a tous les open air, toutes les propositions extérieures. Moi qui tiens un after, je trouve ça super. On travaille aussi avec eux, car des fois l’été ils veulent proposer quelque chose après leurs événements, c’est pour ça qu’on peut rouvrir aussi à minuit.

Je trouve ça très cool cette pluralité de propositions, avec par exemple Bordeaux Open Air, l’Orangeade, SUPER Daronne, tplt et tous les collectifs qui proposent des soirées extérieures. Il y a eu un boom ces dernières années, avec beaucoup d’assos. Petit à petit, il reste les collectifs qui proposent vraiment une vision de soirée, une âme particulière.

Bordeaux est quand même une ville assez libre musicalement

Richard (Parallel)

Richard : La phase croissante des collectifs est plutôt en descente. Faire des événements de temps en temps ça peut marcher, mais quand c’est régulier et que tout le monde en fait, il y a moins de monde, c’est moins événementiel. Bordeaux est quand même une ville assez libre musicalement, c’est agréable. Les gens sont très ouverts. Il faut leur proposer des choses en dehors de leur routine, mais en ayant une certaine coloration, ne pas tomber dans les automatismes.

Crédit photo : Théo Miège

Qu’en est-il des clubs ? Quelle a été la place des clubs dans la ville depuis vos débuts ?

Nina : Je pense que les clubs resteront les clubs, il y en aura toujours besoin. Effectivement, à un moment donné, devant la pluralité des collectifs, il y a pu avoir cette question du devenir des clubs en ville, mais ce n’est pas la même proposition. On vient chercher autre chose en club : on y a ses habitudes, on aime bien aller dans un endroit qu’on connaît, on y rejoint des amis, et on sait que c’est safe. C’est ça aussi le but des clubs : proposer un espace de sécurité dans lequel les gens puissent faire la fête librement.

Avec le COVID, les clubs ont souffert, les gens étaient un peu frileux.  Mais on a vu au dernier confinement que les gens n’en avaient plus rien à faire des normes et voulaient juste sortir. Nous, ce qu’on veut maintenant, c’est revivre. La fin du COVID a renforcé à mon sens l’attrait pour les clubs. La fête, c’est une forme d’expression, c’est faire vivre la jeunesse. L’aspect communautaire est aussi très important.

Richard : Beaucoup de personnes ont pu dire que les clubs allaient mourir. Je n’y crois pas du tout. L’avantage des clubs, c’est que c’est solide : c’est un certain repère pour les gens. Dans 10 ans, il y aura toujours des clubs. On a beaucoup de gens qui font la fête jusqu’à 4 ou 5 heures du matin, qui rentrent se changer et qui viennent ici. Il y en a quelques un·es qui n’aiment pas la techno, mais qui viennent pour l’ambiance. Quelqu’un qui n’aime pas la techno, qui se prend un son à 140 BPM et qui dit « Je n’aime pas, mais il y a un truc », c’est quelque chose quand même ! Bordeaux n’aura sans doute jamais un club comme le Berghain (institution de la club culture berlinoise, ndlr) qui va durer pendant 30 ans. Mais il y a plein de petits clubs qui vont faire bouger les choses.

Quels sont les enjeux et les difficultés traversées par les gérant·es de clubs à Bordeaux ? 

Nina : Quand on a un club, les enjeux que l’on rencontre sont les mêmes : être vigilant·es. Proposer un espace safe dans lequel les gens peuvent faire la fête. On a la responsabilité de ces personnes-là. Ce n’est pas juste un job où on gère la fête : c’est un job où on gère des gens qui ont besoin qu’on fasse attention à elles et à eux. Ce n’est pas difficile, ça fait juste partie du jeu. Quand on ferme la porte du club, on se demande toujours si tout le monde est bien rentré. La fête, c’est l’aspect premier. L’aspect secondaire, c’est proposer un espace de liberté et d’expression et de fête en toute sécurité.

C’est notre travail à nous, on doit toujours avoir ça en tête.  C’est plus facile dans un petit établissement comme le Parallel qu’au Respublica qui était un lieu gigantesque. Honnêtement, en 16 ans d’exploitation sur différents lieux, on a jamais eu de problèmes. C’est aussi selon comment tu gères ton service de sécurité, qui est là pour anticiper. À mon sens, une partie de mon métier, c’est anticiper les problèmes.

Richard : La nuit est un milieu tellement obscur pour les institutions qu’il est parfois difficile d’obtenir de l’aide financière. D’autant plus si tu fais de la techno ! Après le reste, c’est que du kiffe. Quand tu fais ton job avec passion, rien n’est difficile, tu trouves toujours une solution. Je vais mourir sur scène, je vous le dis !

Aujourd’hui, les acteur·ices de la culture sont appelé·es à rendre les événements culturels plus safe. Mettez-vous en place des dispositifs au sein du club ?

Nina : On travaille avec la mairie autour du dispositif Angela. Au-delà de ça, ça dépend de ta philosophie pour gérer ton business toi-même, du soin que tu apportes à la sécurité dans ton établissement. Aujourd’hui, il y a beaucoup de campagnes autour du consentement et on est hyper vigilant·es là-dessus. Si quelqu’un vient nous voir en nous disant qu’il y a un problème avec une certaine personne, on va la sortir direct.

Crédit photo : Théo Miège

Richard : Il faut qu’une personne, quel que soit son genre, son orientation sexuelle ou sa façon de s’habiller, puisse avoir un sentiment de liberté, ne pas être jugé·e, et ne surtout pas être emmerdé·e. C’est une philosophie de travail au départ, il faut faire attention. Notre métier, c’est que tout se passe bien. On n’a pas trop de problèmes de cet ordre-là, car on gère ces questions depuis tellement d’années, c’est devenu assez naturel pour nous.

Si une fille veut venir seule en club, il faut qu’elle puisse le faire sans se faire emmerder. Il y en a toujours qui sont relous, mais dès qu’on les a identifiés, on n’a pas de tolérance sur ça. On a aussi beaucoup de client·es qui ont cette philosophie, et dès qu’ils ou elles voient quelqu’un mal se comporter, ils ou elles interviennent et n’hésitent pas à venir nous chercher.

Quel avenir pour le Parallel ? Avez-vous des projets en cours ?

Richard : On va déjà finir déjà ce projet ! Ce crédo me plait beaucoup. Les horaires, la clientèle. C’est intéressant de voir qu’il y a des gens qui viennent de soirées afro, techno, LGTBQIA+, et qui se retrouvent toutes et tous là, à écouter de la techno qui envoie, il y a quelque chose qui se passe. 

À Bordeaux, c’est difficile à trouver des lieux en centre-ville, qui ne causent pas trop de problèmes de nuisances sonores. Le quartier va être complètement rasé pour faire un projet de promenade qui va rejoindre les quais avec une multitude de commerces.

Nina : C’est déjà une philosophie qu’on mettait en place au Respublica. Le Parallel, c’est l’établissement qui nous représente le plus : le plus atypique, le plus hors-normes. On voudrait une terrasse, un espace pour chiller, de quoi manger… plein de choses ! Mais bon, on ne peut pas pousser les murs. On fera le Parallel jusqu’au bout, et on partira d’un commun accord avec la Mairie.

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