Le bordelais du mois #01 – Martial Jesus de Total Heaven

Pour entamer ce nouveau rendez-vous mensuel on est allé rendre visite à Martial Jesus qui gère avec Xavier (aka Babouche) le disquaire Total Heaven. A l’heure d’un soi-disant revival du vinyle, d’une offre toujours plus pléthorique en termes d’artistes qui émergent et d’une scène locale bordelaise prometteuse, on s’est dit que Martial pourrait avoir pas mal de choses à dire. De son ancienne émission sur Sauvagine à l’évolution de la Fnac, en passant par Pitchfork ou la fermeture de pas mal de lieux culturels à Bordeaux ces derniers temps ; interview fleuve.

Est-ce que tu peux te présenter, ton parcours, comment t’en es arrivé là ?

Alors je m’appelle Martial. Dans le shop, nous bossons à deux avec Xavier. Lui est originaire des Charentes et je viens du Lot-et-Garonne. Je suis arrivé à Bordeaux après le bac. Je savais pas trop quoi faire de ma peau, j’ai fait des petits boulots tout en découvrant les salles de concert d’ici, et puis les fanzines, les petits labels, les réseaux de distribution… C’était une source d’inspiration. J’achète des disques depuis que je suis tout petit, mais c’est à Bordeaux que j’ai fait de la radio, un label. J’ai commencé à jouer dans des groupes, passer des disques, bref, tout s’est enchaîné de manière logique. Finalement je suis rentré à la FNAC à 26 ans, à une époque où ils engageaient encore des gens qui ne sortaient pas d’école de commerce, mais qui étaient motivés et curieux. J’ai appris le métier comme on dit. Lors de ma deuxième année à la Fnac, cette dernière a été rachetée par Pinault et l’enseigne a complètement changé pour devenir celle qu’on connait maintenant, avec des managers, des techniques de vente et tout ça… Jusqu’en 1996, la FNAC n’était pas cotée en bourse et ses dirigeants étaient proches de leurs employés comme du public. Ils ne rechignaient pas à investir dans « l’humain » : on n’était jamais en sous-effectif, les vendeurs connaissaient leur boulot, c’était chouette. Après 1997, non.

Luc Magnant a ouvert Total Heaven à Bordeaux en 1996. Lorsqu’il a voulu développer l’offre hip hop et d’electro de son shop (en plus du rock, de la soul, du punk, du hardcore, du reggae qu’il bossait déjà…) Luc m’a proposé de venir bosser à mi-temps, avec lui et Babouche, son employé d’alors qui est aujourd’hui cogérant avec moi. J’ai donc démissionné de la Fnac pour venir ici en 2000. Deux ans plus tard Luc avait envie d’autre chose et nous a revendu l’affaire, à Babouche et à moi. Depuis on partage tout à 50/50 : les commandes, la gestion, la mise en rayon, la promo, les peines et les joies.

En quoi ça consiste le métier de disquaire aujourd’hui ?

A la base c’est être à l’écoute des gens. Même si le métier a beaucoup changé parce qu’il y a de plus en plus de sorties, et que ça en devient presque ridicule… Être curieux, humble, « partageur » et surtout aimer le « disque », reste la base. Fatalement depuis le téléchargement on vend beaucoup moins de disques (surtout moins de CD’s). Avec Babouche on reste de très gros acheteurs de vinyles à titre perso. On ressemble à nos clients. On essaie de suivre un peu ce qu’il se passe, mais sans se forcer non plus, naturellement. On va aux concerts, on lit les magazines ou les fanzines qui sont toujours là, quelques webzines aussi… Beaucoup de clients sont devenus des amis, ceux qu’on croise aux concerts, les dj’s, ceux qui vont eux-mêmes faire des labels, des fanzines, des blogs, ou bien de simples curieux qui nous parlent de leurs découvertes. Les équations sont simples : si cinq personnes te parlent du même groupe en une semaine, il faut y aller. L’important est d’être réactif, ouvert et puis toujours avoir la « fibre », être passionné… Comme je dis souvent, si après toutes ces années on est toujours aussi excité quand les colis arrivent, tout va bien.

Ta « consommation » de musique à toi c’est quoi ? Vinyle, CD, MP3 ?

Avec Babouche, on n’a jamais mis le doigt sur un MP3. On n’a aucune musique sur ordinateur. Comme on a toujours acheté beaucoup de vinyles, quand la musique dématérialisée est arrivée, ça ne nous pas excités plus que ça. C’était moche et cheap. Par contre c’est vrai que le streaming ou Youtube sont arrivés, la rapidité du truc était folle. C’était presque trop, c’est comme d’être diabétique et lâché dans un hangar de sucreries… On peut crever d’overdose. Même Myspace c’était effarant, pendant des heures on sautait d’un truc à l’autre jusqu’à l’écœurement. Mais on n’a jamais téléchargé la musique et on continue, que ce soit Babouche ou moi, à acheter essentiellement du vinyle. Parce qu’il est hors de question de « posséder » toute la musique qui existe et qu’avec l’achat d’objet qui se fait par une sélection naturelle. Et aussi parce qu’on est DJ tous les deux et qu’on a toujours passé que du vinyle, même quand c’était passé de mode ; ni CD ni MP3. Aujourd’hui les DJ’s vinyles sont de nouveau en vogue, ce qui est assez cocasse.

Ton activité de DJ, en quoi elle consiste ?

Déjà par rapport au shop, un mardi sur deux on va au Wunderbar, le petit bar à côté du Boqueron rue Mauriac. Ce sont des potes. On prend toutes les news du magasin, et on fait une petite sélection dans tous les styles. On les trimbale au Wunder et on les présente en direct. En fait, avant ça, on avait une émission sur Sauvagine (avant que ce soit racheté par Nova) et on faisait déjà ça à la radio. Du coup quand ça s’est arrêté, les mecs du Wunder nous ont proposé de venir faire la même chose au bar, en live. C’est pas retransmis, mais les gens qui viennent boire un coup voient tout ce qu’on passe, on présente les pochettes et certains nous demandent parfois de leur mettre des trucs de côté.

Parfois on va passer des disques avant ou après un concert. Ou seulement nous, pour des « party mix ». Sinon, il nous arrive même de faire des animations de mariage, par le bouche à oreille. On n’a jamais eu que des compliments dans ce difficile exercice.

Tu as parlé des médias, des webzines ; quel regard portes-tu sur l’évolution des médias, de la presse musicale ? Tu as parlé de Sauvagine… l’arrivée de la pub… ?

En gros, tout va dans le même sens. Que ce soit la Fnac qui a été rachetée, les radios qui se font bouffer par les plus gros, les canards qui, pour s’en sortir, roulent avec les maisons de disque – qui leur achètent de la pub et leur demandent de pousser tel ou tel « artiste ». Donc il n’y a plus trop de crédibilité à plein de niveaux. Mais on peut toujours faire la part des choses. Après, les webzines sont arrivés, ça a amené du sang neuf au début et puis ça a fonctionné très vite de la même manière pour beaucoup… D’un autre côté, cette nouvelle génération du web n’a plus la même culture que nous avions. Aujourd’hui elle se fait beaucoup plus rapidement, mais peut-être moins en profondeur. Alors effectivement, les gars connaissent plein de choses ! Mais ils se démerdent mal selon moi… Quand je lis Pitchfork, ou des trucs comme ça, à la fois ça peut être chouette, ils poussent Mac Demarco, mais souvent c’est écrit… enfin j’aime pas comment ils écrivent.

Ah ouais critique vis-à-vis de Pitchfork ?

Bah… Ils parlent de trop de trucs, des fois ils parlent de tout et n’importe quoi. Et n’importe comment. Ils vont encenser un groupe de métal hardcore sans avoir cette culture hardcore et c’est un peu nul. Et puis ils sont hyper durs, souvent négatifs, leur manière de noter au dixième près « 7,4 » c’est tellement vain et prétentieux… Ils feraient mieux de parler de moins de choses, d’être plus concis et plus positif, je pense. C’est quand même mieux de se mouiller pour quelque chose à défendre que de te passer tel ou tel truc dont on se fout à la kalachnikov, non ?

Ce que j’aimais à l’époque des petits fanzines qu’on photocopiait, c’est qu’il y avait moins de choses à défendre. C’est vrai que c’était plus simple, mais les choses qu’on défendait nous tenaient profondément à cœur. C’était un autre état d’esprit. On prenait le temps d’y aller vraiment, de faire de longues interviews, de dire pourquoi ça nous plaisait autant.

Ou même les Inrocks ; quand j’ai commencé de les lire c’était un bimensuel et ils prenaient vraiment leur temps, ils faisaient des articles de fond et ils parlaient de trucs qui n’étaient pas très considérés à l’époque. Ils avaient fait une interview de Brian Wilson des Beach Boys alors qu’il était au fond du trou, et pour plein de gens de ma génération ça nous a foutu dans les Beach Boys jusqu’au cou. Ou alors ils avaient fait un énorme dossier sur le Velvet quand on n’en parlait pas autant qu’aujourd’hui. Et puis c’était avant le net, on avait peu d’info, bref, ça nous a vraiment construit. Il y avait des listes de distribution pour chopper les disques qu’on n’arrivait pas à trouver dans les Fnacs. Ou on montait à Paris exprès dans les boutiques, à Parallèles, puis au Rough Trade, tout ça prenait un temps fou.

Maintenant, comme on est dans la culture de la rapidité, les gens n’écoutent plus les albums en entier : parfois ils écoutent même juste un passage ! Le gros des gens sur leur iPhone ne savent plus ce qu’ils écoutent, ils ne savent plus qui fait quoi, qui a produit, si c’est un album, un single. Je ne dis pas que c’est pas bien. C’est juste comme ça que ça se passe maintenant. C’est vrai qu’a 42 et 44 ans, on se sent un peu en décalage par rapport à ça. On est de la vieille école, ça y est. Mais d’un autre côté ce qui est bien c’est qu’il y a quand même des petits jeunes qui viennent ici. Ils découvrent le vinyle, l’album en entier. Et peut-être qu’ils se passionneront pour tel ou tel groupe de manière plus profonde, moins superficielle.

Pour parler du shop, tu peux nous raconter un peu l’histoire de Total Heaven ? C’était un label au départ ?

Alors le shop a démarré à Saintes. Luc Magnant est de là-bas et il avait un magasin de disque qui s’appelait Rock Virus qui marchouillait on va dire. Donc il avait du temps pour lui et il a monté ce label qui s’est appelé Total Heaven. Il a sortit pas mal de groupes qui ont fait du chemin (les TV Killers, les Sleepers, les Improvisators Dub, Seven Hate…). Quand il est venu s’installer à Bordeaux pour ouvrir un magasin, il a tout simplement pris le nom du label. Comme le shop a mieux marché ici et que Luc avait moins de temps pour le label, il a fini par s’arrêter.

Du coup tu peux présenter Total Heaven ? Dans une vieille interview qu’on a retrouvée on entendait ton collègue Babouche qualifier l’orientation du shop de « From funk to punk » ?

C’est ça. Le « from » est vraiment important : on va vraiment partir du funk pour aller jusqu’au punk. Et vice versa. On travaille vraiment tous les styles. Du hardcore punk, du hip hop, des vieilles rééditions soul funk, du métal, du reggae, de l’electro, des trucs sixties psychés… On est tous les deux curieux et on s’est fait découvrir des choses mutuellement. En grosnil ne manque que techno hardcore et la musique classique – qui ne nous font pas vibrer plus que ça pour l’instant – à part ça, on touche à tous les styles. Il faut dire aussi que par rapport au tout début du magasin, en 1996, on est devenu un peu plus généralistes. A l’époque il y avait encore Virgin et la Fnac. On ne travaillait pas avec les majors, en fait c’était elles qui ne travaillaient pas avec nous. Pour ouvrir un compte chez Sony ou Universal, il fallait faire des énormes commandes, alors qu’il n’y avait que quelques trucs qui nous intéressaient chez eux. Après eux ont mis de l’eau dans leur vin ; on peut désormais faire des petites commandes de 20-25 pièces. Ça fait qu’aujourd’hui on travaille aussi tout ce qui est chez Universal…

C’est pas en contradiction avec tes valeurs de bosser avec des majors ?

Ben non, pas du tout, au contraire même. C’est bien de pouvoir satisfaire et à faire venir ici des gens qui allaient au Virgin avant qu’il ne ferme. Donc c’est vrai qu’on travaille aussi les Pink Floyd, les Baschung… Y’a aussi des trucs très bien sur les majors. Plein de gens ont l’habitude de dire « quand tu signes sur une major t’es foutu » ! Je suis désolé mais il y a un groupe de noise rock qui s’appelle les Melvins, ils ont influencé Nirvana, ils sont là depuis des lustres… Leurs 3 meilleurs albums on été faits sur un major. Il n’y a pas de règle. Alors c’est vrai que c’est plus difficile quand t’es dans un gros système de tirer son épingle du jeu et de garder sa crédibilité. Mais tu vois des mecs comme Pharrell qui arrivent à faire ça très bien. J’adore Daft Punk et le dernier album est très réussi. Il n’y a rien de systématique. Ca n’est pas parce que c’est sur un petit label indé que ça va être génial ; ça peut être tout pourri.

Donc c’est vrai que par rapport au début du magasin, on brasse un truc encore plus large. Mais dans les années 70 les disquaires vendaient à la fois Hendrix et la variété, c’était OK. J’ai l’habitude de dire qu’aujourd’hui on est les plus spécialistes des généralistes ou alors les plus généralistes des spécialistes. Parce qu’aussi ici on est à Bordeaux, qui n’est pas bien grande par rapport à Paris. On ne pourrait survivre, avec nos deux salaires et les nouveautés à faire rentrer, que si on ne travaillait que du garage punk ou que du hip hop. On est donc obligé d’avoir cette diversité. Mais ça nous plaît. On est ravis quand des petits jeunes viennent acheter les Doors ou Janis Joplin ici ; et puis ils entendent des trucs de garage ou psyché dont ils n’ont pas idée pour découvrir ensuite Thee Oh Sees ou Kadavar. C’est important. On n’est pas snobs.

On imagine du coup qu’au niveau du public, du profil des acheteurs, c’est assez varié ?

C’est hyper varié oui, ça va vraiment aller du retraité qui habite sur le bassin et qui va acheter des rééditions de trucs obscurs – « ah putain celui-là je le cherche depuis 20 ans » !

T’as des clients qui viennent du Bassin d’Arcachon exprès ?

Oui, il y a des gens, quand ils prennent leurs vacances dans le sud de la France, que ce soit des espagnols ou des même des américains, ils savent qu’il y a Total Heaven à Bordeaux, et ils vont garder une après-midi pour venir ici. Il y a des gens qui viennent exprès de très loin pour acheter des skeuds. On a toutes les générations et toutes les classes sociales qui viennent ici. On est hyper fiers de ça.

Dans le marché du vinyle on a l’impression que pas mal de gens achètent parce que c’est un peu à la mode, plus que par passion ?

Alors c’est vrai que les médias parlent d’un retour du vinyle et il y a des gens qui n’ont jamais entendu parler de ça avant, donc ils vont être interpellés. « C’est quoi ça ? », pour peu qu’ils soient curieux. Mais le phénomène de mode j’y crois pas parce que c’est quelque chose qui vaut cher. « J’ai le choix entre garder mon argent pour acheter un iPhone, sortir et boire des coups, ou acheter de la drogue, ou les bonnes fringues qu’il faut… la musique je l’ai gratos sur le net, c’est ok ». Le disque c’est pas aussi important que ça pour eux. D’ailleurs ça concerne très peu de gens : on dit que le vinyle explose mais on part de tellement bas sur les parts de marché ; quand on regarde un camembert sur la musique qui est vendue aujourd’hui, les 90 % c’est du téléchargement, le CD un petit peu, et le vinyle c’est vraiment ridicule. Donc il y a un effet de mode pour en parler peut-être ; mais à mon avis ça ne va pas durer.

Par contre il y a une toute petite partie du public qui va continuer à les acheter parce qu’ils aiment ça profondément. Je pense pas que les mecs qui claquent du blé pour avoir un système son – parce que ça vaut des sous d’acheter la platine, l’ampli, les enceintes et les disques – font ça par effet de mode. Et même si ça dure un temps, il y a des gens qui plongent à fond ; on les voit bien ici. Des gens qu’on ne connaissait pas, et qui du jour au lendemain, arrivent et ils achètent plein de disques. Certains ça va durer un an, d’autres 10 ans, d’autres toute leur vie.

La proportion vinyle/CD dans le shop ça représente quoi ?

En 1996 c’était vraiment 50/50. Et là tu vois on a encore resserré les bacs parce qu’on vend vraiment de moins en moins de CD’s. Les gens nous demandent surtout du vinyle désormais. On doit être rendu à 75%.

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L’occasion ça représente quoi chez Total Heaven ?

Très peu. On aime vraiment travailler le neuf. Justement être au courant de l’actualité, savoir ce qui va sortir, ce qui va marcher… On aime ce public parce qu’il nous ressemble. Babouche et moi, on a toujours acheté du neuf. On fait peu d’occases, car c’est un autre métier. Ce ne sont pas du tout les mêmes marges. On doit vendre beaucoup et se démener pour arriver à équilibrer. On ne se verrait pas bosser que l’occasion, ça nous ferait chier, je pense.

Il n’y a plus ce côté défricheur, d’aller à la rencontre de la nouveauté ?

Voilà ! La nouveauté ou les rééditions. Chez les amateurs d’occases, il y a une espèce de mode en ce moment, c’est de dire que toutes les rééditions sont merdiques et que rien ne vaut les originaux. Ce qui est loin d’être systématique. Il y a des originaux des années 1980 où le vinyle était fin comme du papier à cigarette, et le pressage pas top. Alors qu’il peut y avoir de merveilleuses rééditions. Le « Melody Nelson » de Gainsbourg n’a jamais aussi bien sonné que sur le pressage des canadiens Light In The Attic, d’il y a 2 ou 3 ans. L’original n’est pas mieux que ça.

Pour revenir sur le shop et les activités qui y sont organisées, vous faites quoi à part vendre des vinyles ?

A une époque on organisait pas mal de concerts quand on avait plus de temps, on faisait des trucs à l’Heretic tous les deux mois. Maintenant c’est vraiment au coup par coup. On a fait Frustration 2 fois, qui sont des copains, ou d’autres trucs dont on est fan – Babouche a organisé les Cosmic Psychos l’été dernier. Mais comme le boulot du shop devient de plus en plus précis, on brasse de plus en plus de choses en très petites quantités, ça nous prend plus de temps qu’avant et il en reste moins pour organiser des concerts. Mais on fait toujours des DJ set. On fait des expos au shop pour promouvoir les jeunes artistes de Bordeaux ou d’ailleurs et qu’on aime bien. Et puis on fait aussi des petits showcases au magasin quand un groupe local sort un disque. Ou si des groupes en tournée nous plaisent beaucoup et qu’ils n’ont pas trouvé de dates, on les fait jouer ici.

Quelle vision tu portes sur le Disquaire Day, le salon du disquaire ou ce genre d’initiatives ?

Alors les deux sont très différentes. Le Disquaire Day je n’aurais pas cru que ça prenne en France ; c’est un truc anglo-saxon, à la base, qui a beaucoup marché en Angleterre. C’est un jour spécial où les artistes et les labels se mettent d’accord pour produire des disques et les vendre exclusivement chez les disquaires indépendants, ni sur le net, ni dans la grande distribution. C’est clairement pour faire revenir les gens chez les disquaires indépendants. Donc les deux premières années c’était en Angleterre et aux Etats-Unis et ça a cartonné : les mecs faisaient la queue devant les shops. On s’est dit qu’en France ça allait peut-être marcher, mais beaucoup moins. En fait on a été hyper surpris la première année de voir les gens faire la queue ici aussi. On a vu des gens qui ne sont jamais venus au shop avant, qui achètent essentiellement sur le net, des gros fans collectionneurs. Le problème c’est qu’ils viennent qu’une fois par an, pour le Disquaire Day. Mais on ne va pas cracher dans la soupe, surtout que c’est arrivé à une époque où on était vraiment mal ; tous les disquaires indépendants étaient vraiment mal et ça nous a beaucoup aidé à redresser la barre. Après il y a toujours des points noirs, il y a toujours ceux qui recherchent les disques de Johnny et il y a les gros labels qui justement essaient de faire de gros coups avec ça. Après il suffit juste de commander les trucs que tu veux. C’est le disquaire qui fait lui-même ses commandes par rapport à sa clientèle donc ça c’est vraiment très bien.

Après les foires au disque c’est bien aussi mais c’est uniquement de l’occasion et ça s’adresse essentiellement à ces gens-là, qui justement, pour les trois quarts, sont des fans de Johnny ou de Mylène Farmer, de trucs comme ça, et qui vont chercher l’énième maxi rare… Bon.

Après, tous les prétextes sont bons pour parler du vinyle. Quand les médias au 20h00 parlent du salon du disque ou du Record Store Day on ne va pas dire que c’est pas bien, au contraire !

Comment tu choisis les artistes que tu vas proposer à tes clients ?

Webzines, blogs, magazines, discussions avec les clients… C’est un peu une synthèse de tout ça finalement ! Mais aussi les trucs que l’on a acheté à titre personnel, parce qu’à la base le disquaire c’est ça ; quand il y a un groupe qui le fait vibrer il a envie de partager ! C’est pareil pour tout finalement quand tu fais de la radio ou quand un DJ fait un set, tu veux juste partager ce que tu aimes. Donc dès qu’il y a un truc qui nous plaît à fond, même s’il n’y a pas eu beaucoup de chroniques et de promo, on n’hésite pas, on fonce ! Par exemple tu vois quand Mac DeMarco est arrivé, Pitchfork en avait parlé un peu mais c’est tout… on est tout de suite tombés amoureux de ce mec, on le passait nuits et jours, on faisait chier tout le monde avec. Et pour la petite anecdote, on est devenu, en France, les premiers vendeurs de Mac DeMarco, devant les Fnac et tous les autres grands distributeurs.

Et l’arrivée du web dans la musique t’en penses quoi ? Comment est-ce qu’on s’adapte par rapport à ces nouveaux outils ?

Je pense que ça s’inscrit dans un mouvement général où tout va très vite. C’est à la fois bien et pas bien. Nous quelque part ce qui nous a sauvé c’est de ne jamais avoir eu de site de vente en ligne, contrairement à pleins de collègues à nous. On avait déjà plein de boulot au shop, ça nous faisait chier, on n’allait pas embaucher encore quelqu’un d’autant plus qu’on n’avait pas les sous… Puis ce qui nous plaît dans ce métier c’est aussi de rencontrer les gens, de discuter, de partager, de faire écouter. Il n’y a rien de plus énervant que les sites où t’as pas d’échanges, tu vas faire ton panier et tu reçois tout directement chez toi. Mais ça s’inscrit dans une tendance général, c’est pas que pour la musique ! Et même quand on fait du mail order à l’ancienne, de la vente par correspondance, les mecs sont obligés de téléphoner donc il y a quand même un échange. Je connais plein de collègues qui ont fermé leurs shops pour ouvrir juste un site, évidemment ils ont vachement moins de charges, mais tu les vois ils sont seuls devant leurs ordis et ils se font chier ! Il y a quelques années c’est vrai qu’on croulait un peu sous les charges, on se demandait si on allait continuer ou pas, mais là avec le retour du vinyle on a redressé la barre. Ne pas avoir de site ça nous a un peu condamné à réussir, on a eu du bol, ça a marché, donc voilà c’était aussi une force d’être à la traine là-dessus.

Ces derniers temps il y a aussi un retour de la cassette… t’en dis quoi ? Il y a même un « Cassette Store Day » qui est apparu en Angleterre !

Ah je n’étais pas au courant de cet événement ! C’est plutôt une bonne chose parce que c’est un format pas cher du tout mais c’est très fragile aussi. Par contre ça touche un tout petit public, des passionnés exclusivement. Au départ la cassette est revenue à travers les labels de métal, de pop indé et de garage (comme Burger Records, un label californien) mais ça touche vraiment très peu de gens. Nous par exemple on a une demande tous les six mois seulement. A l’inverse, nos potes de Pop Culture à Paris ont carrément un rayon cassette parce que la demande est là. Mais c’est vrai que la cassette, dans la culture musicale, ça représentait un truc hyper important, c’était plus accessible que les CD, on pouvait enregistrer la radio dessus…

Et niveau qualité du son, qu’est-ce qui est le mieux ?

Rien ne vaut le vinyle niveau qualité son. Si t’en prends soin c’est increvable, le son reste incroyablement bon, t’auras jamais de déperdition contrairement aux CD ou aux cassettes. En 1984 les majors sont arrivés en disant que le vinyle était obsolète et que l’avenir était dans le CD et c’est vrai que le son pétait mais ça restait une retranscription digitale. Du coup on perdait énormément en aigu et en grave parce que le spectre sonore était beaucoup moins large. C’était pas le son analogique que tu peux avoir quand t’enregistres sur bande et que tu le presses ensuite sur vinyle. Faites le test, à volume égal, entre le son d’un MP3 et celui d’un 45 tours vous verrez par vous-même !

Est-ce qu’il y a des disquaires qui t’ont inspiré ?

Il y en a eu plein et pour différentes raisons. Le tout premier Rough Trade de Londres, qui s’est monté en 1977 pendant la période punk. Il avait été fondé par un mec qui était parti aux États-Unis acheter des vinyles et qui les avait fait venir en bateau. Et en parallèle de son shop il avait aussi un label où il aidait des jeunes groupes. C’est vraiment l’histoire du mec passionné qui veut faire partager ses coups de cœur.

Sinon, quand j’étais plus jeune aussi, à Agen, il y avait le disquaire du coin qui s’y connaissait sans s’y connaître et qui était plutôt axé jazz. Mais c’est chez lui que j’ai acheté mes premiers Talking Heads. Je lisais Best (ancien magazine musical français spécialisé dans le rock) chez moi et c’est avec ça que je découvrais des nouveaux groupes…

Puis ensuite je suis arrivé à Bordeaux, c’était la belle époque de la Fnac où bossent encore Domi et Thierry (les irréductibles). Puis à Paris il y avait aussi le Rough Trade dont je parlais avant…

Ces derniers temps il y a eu pas mal de fermetures administratives à Bordeaux (Booboo’zzz, Bootleg, Iboat, Saint-Ex…), comment tu perçois ce phénomène ?

C’est un gros problème. Tu sens bien qu’il y a un désir de tout aseptiser. Plus de bruit du tout. Plus de bordel en ville. Je comprends que ça peut être chiant un mec bourré qui gueule à quatre heures du matin, mais sans les petits clubs, c’est la fin de tout. Faut pas attendre du Rocher Palmer ou de la Rock School qu’ils invitent les tout petits groupes. Vu que c’est pas leur boulot de toute manière. Pendant un temps les lieux se régénéraient. Certains fermaient, d’autres ouvraient… Mais c’est de moins en moins le cas. Ça semble de plus en plus difficile. Bon il en reste quelques-uns quand même : le Wunderbar, le Chicho, l’Envers, ou Le local des Potagers Natures, par exemple, qui sont beaucoup moins emmerdés, mais ce sont juste des micro-concerts.

Justement les endroits que t’apprécies bien pour sortir ?

Ben mine de rien, le Saint-Ex, les gens râlaient comme quoi c’était pas clean ou que Jean-Marie foutait tout le monde dehors dès qu’il était un peu bourré, mais on y a vu quand même de supers concerts. Comme avant à l’Inca ou encore avant au Jimmy. Des lieux qui avaient un « plus »… Il reste les endroits cités plus haut. Mais quand il y a un bon concert au Café Pompier j’y vais, quand il y a un bon concert au Bootleg j’y vais aussi, l’Iboat pareil (surtout quand c’est des choses plus intimistes parce que dès que c’est trop gros ça devient difficile au niveau du son)… Mais il nous arrive aussi d’aller dans des lieux plus gros comme le Krakatoa (Dinosaur Jr.) ou Palmer (Chassol) à l’occasion. Il y a que la Rock School Barbey que je boycotte à cause du patron, Eric Roux, que je n’apprécie pas pour tout un tas de raisons (on est nombreux à partager cet avis d’ailleurs).

Et il y a des groupes locaux qui te plaisent ?

Il y en a énormément. Et il y en a toujours eu depuis que je suis sur Bordeaux. Tous les six mois t’as des groupes qui « sortent des caves ». J’ai toujours adoré Kap Bambino qui est pour moi un des meilleurs groupes tous styles confondus. Aujourd’hui JC Satàn, Year of No Light, Magnetix, Botibol, Petit Fantome, sont la partie visible de l’iceberg… Mais tout se régénère très vite. Cockpit, Vidéodrome, Bourbon sont des groupes à suivre.

On se souvient t’avoir vu à l’Utopia passer des vinyles pour l’avant-première du film Eden, as-tu l’impression que l’esprit underground retranscrit dans le film s’est perdu un peu ?

Oh non, t’auras toujours des mecs passionnés qui feront des trucs à petite échelle. Du travail honnête. D’ailleurs en ce moment dans les musiques électro, il y a une espèce de revival house, alors qu’il y a cinq six ans plus personne ne voulait en entendre parler. C’était juste le gros son qui tabasse à la Ed Banger. Mais là c’est un vrai retour à des choses plus raffinées et hyper mélodiques. Ça touche les gens différemment. Le shop Syncrophone à Paris qui est dans cet esprit. Et comme ils sont aussi producteurs et distributeurs on a aussi leurs disques ici. Je pense pas que « c’était mieux avant », c’est juste une histoire de bonne musique qui touche les gens pour les bonnes raisons. Ça a toujours existé. Comme y’aura toujours des types qui sont là par effet de mode, y’aura également toujours de vrais passionnés.

Deux/trois pépites dans le shop ?

Le Ariel Pink, un type qui est là depuis dix ans, au départ il enregistrait dans sa chambre avec des cassettes. Sa pop est hyper fantaisiste, parfois t’as des arrangements trop bizarres avec des musiques de dessins animés assez farfelus, mais c’est toujours très touchant au final. Il y a aussi le disque de François and the Atlas Mountain qui a été enregistré au Burkina Faso avec des musiciens africains, il est d’une beauté à tomber par terre. Mes préférés restent ce groupe américain qui s’appellait Ween et qui touchait tous les styles au sein d’un même album : du funk à la Prince, une petite touche Black Sabbath, des chansons à la Beatles, Motörhead ou Pink Floyd. C’était complètement fou. Mais malheureusement ils n’existent plus !

Le mot de la fin ?

Bah, le principal c’est que la musique vous fasse vibrer. Si vous l’écoutez pour les bonnes raisons et pas par simple effet de mode, c’est ok. Téléchargez, achetez des disques, faites des émissions de radios, des webzines, des webradios, des fanzines !!!

2015-02-11 19.27.06

Facebook de Total Heaven avec toutes les actus du shop.
6, rue de Candale, Bordeaux
(à deux pas de la Victoire)

Aro.R & Laurent.B

4 replies on “ Le bordelais du mois #01 – Martial Jesus de Total Heaven ”
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