Rencontre avec le merveilleux Michel Ocelot

À l’occasion du FIFIB 2017, Le Type a eu l’opportunité d’interviewer le réalisateur de Kirikou, Azur et Asmar ou encore Les contes de la nuit : Michel Ocelot. L’occasion de découvrir un philanthrope emprunt de bienveillance, un homme à l’image de ses films d’animation. Une merveilleuse rencontre.

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Le Type : Bonjour Monsieur Ocelot. Nous nous présentons, nous sommes rédactrices pour Le Type, un webzine bordelais constitué de rédacteurs, bénévoles, passionnés de culture.

Michel Ocelot : Ces énergies partout, je suis émerveillé. Vous faîtes partie de mon émerveillement. La France est un pays qui tient à la culture, et cela permet à des gens comme moi d’exister. Et ça, partout : dans les grandes villes et les petits hameaux… c’est étonnant !

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Vous dîtes que vous étiez embêté d’avoir l’étiquette « enfants » sur le front, et que vous réalisiez aussi pour les adultes. Vos films d’animation ont-ils pour but de faire appel à l’enfant qui sommeille en chaque adulte ?

Non, non, non ! Je ne fais pas appel à l’enfant qui sommeille dans les adultes. Quand j’étais enfant, j’étais content d’être enfant. Aujourd’hui je suis adulte et je suis content d’être adulte. On peut être adulte et gentil, innocent, pur, et tout et tout. Et il ne faut pas être désespéré d’être un adulte. Quand je fais mes films, ce qui m’intéresse c’est de parler à tout le monde. Et je ne demande pas aux adultes de devenir enfants. Euh… bon, peut être qu’il y a quelque chose là-dedans ; je leur demande aussi d’être peut-être innocents et gentils, et de croire aux grands sentiments. Mais à l’intérieur, tout le monde est innocent et croît aux grands sentiments. C’est clair. Et mes films, que certains pensent être des films pour les enfants, ça touche plus les adultes que les enfants. Donc, pour résumer : je ne suis pas assez intelligent pour faire des films avec une cible. J’essaye de faire le meilleur film possible, et des films qui intéressent tout le monde. Dont moi aujourd’hui. Et puis c’est tout. Aime qui peut (rires). Mais je n’ai pas peur d’être innocent et sensible.

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Nous sentons que l’immigration est un sujet qui vous tient à cœur, notamment au travers d’Azur et Asmar, sur lequel vous avez passé 5 années. C’est un sujet très actuel. Est-ce qu’il y aurait un message que vous aimeriez faire passer sur ce dernier ?

Azur et Asmar en est plein. Quand j’ai pensé à ce film, je me suis donné une mission : un film qui soit ici et maintenant. Est ce qu’on peut s’entendre ? C’est vraiment ce que j’ai dit : je fais ça. Et puis, petit à petit, j’ai trouvé des histoires. Mais là, je m’applique à montrer des gens différents. Toutes les différences : hommes/femmes, vieux/jeunes, riches/pauvres, installés/immigrés, et pour dire les choses clairement : chrétiens et musulmans. Est-ce qu’on peut s’entendre ?

Donc je mets toutes ces différences ensemble et je fais un petit peu bouillir. À certains moments, j’échange les rôles pour que l’immigré soit riche et que le riche découvre qu’il est immigré et rejeté. Et petit à petit, ces gens s’aiment parce qu’ils sont aimables. Et  j’insiste : ce n’est pas utopique. S’apprécier entre gens différents c’est très facile. La différence, c’est plutôt un petit piment qui permet de relever la sauce. Et ça pousse plutôt. Alors, ça marche très bien entre individus, entre groupes c’est beaucoup plus difficile. Mais entre individus, je garantis que c’est plus facile de bien s’aimer en étant différents, et même au contraire, c’est quelques fois plus facile.

On me dit souvent « C’est bien, vous faîtes des films en faveur de la tolérance ». Non, non : je roule pour le plaisir de la vie et pas pour la tolérance. Et les gens, à la fin d’Azur et Asmar, qui dansent ensemble, ce n’est pas parce qu’ils sont tolérants : c’est parce qu’ils s’aiment bien. C’est encore autre chose. Et quand Azur trouve Jenane belle c’est parce qu’elle est belle, que grâce à son travail elle s’est achetée de très beaux bijoux, elle est fort bien habillée et il dit qu’elle est belle parce qu’elle belle, pas parce qu’il est tolérant. Quand il se régale avec des cornes de gazelles, il ne se régale pas parce qu’il est tolérant : c’est parce que c’est bon (rires). Et c’est plutôt de ce côté que je vais. Bien sûr, on a besoin de tolérance. Mais je pense plutôt au plaisir d’être vivant et d’être sur cette planète. Il faut voir ce dont on dispose et en jouir.

Itw Michel Ocelot

Vous avez refusé beaucoup de projets dans votre carrière (des projets de BD, pour la télé,…), quitte à ne pas vivre dans l’aisance. C’est primordial pour vous d’être un homme libre de choisir ?

C’est relativement monstrueux : je n’ai fait toute ma vie que ce que je voulais. Tous les films que j’ai fait, c’est moi qui les ai décidés. Ce n’est jamais une commande. Donc ma vie, c’est faire ce que je veux.

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Pourquoi « monstrueux » ?

Parce que je ne connais personne qui y soit arrivé (rires).

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C’est merveilleux plutôt, non ?

Oui. Alors le prix que j’ai payé c’est que dans ma vie, avant Kirikou, j’en ai bavé et je n’ai pas eu une bonne vie. J’ai été chômeur longue durée et c’est abominable. Et j’ai quand même perdu mon temps. Au lieu d’être chômeur longue durée j’aurais dû faire des films. Donc je n’ai pas eu une vie tout à fait parfaite. Mais il est vrai que je n’ai fait que ce que je voulais. Et quand des gens me disaient ou m’ordonnaient « tu dois faire ça », et que ça ne me plaisait pas, je ne le faisais pas. Et je n’ai jamais écouté la moindre chose qui ne me plaisait pas.

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Ces refus, vous les expliquez notamment parce qu’il était essentiel de faire des choses que vous considériez comme belles. Vous avez d’ailleurs déclaré lors d’une interview à Abus de ciné « J’essaye simplement de faire du beau ». C’est l’essence de tous vos projets, la beauté ?

J’ai le pouvoir de faire de la beauté, j’en profite.

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Pour parler un peu de vos projets, dans une interview en 2013 vous aviez parlé de faire un film d’animation sur Paris dans les années 1900. C’est un film que vous allez effectivement faire ?

Ce n’est plus un projet ! L’image est terminée et on va travailler le son jusqu’à janvier prochain. Mais en gros il est terminé. Mais il faudra attendre le 10 octobre 2018 pour le voir, parce qu’on essaye de le sortir au meilleur moment. Il est fait, et de temps en temps j’en suis content.

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Dans vos films, on retrouve souvent ces personnages qui sont mis à part, rejetés par les autres, moqués… pourquoi ?

Les gens originaux, les gens à part ne sont souvent pas très bien reçus. Donc je traite souvent de ce sujet. C’est aussi pour encourager les gens qui ne sont pas encouragés : si, si, on va y arriver ! C’est quand même aussi ma vie. Pendant longtemps, on pensait que je n’étais pas bon. Bah oui, j’ai mis tellement de temps à avoir une carrière ! C’est quand même mon histoire, le vilain petit canard dont on ne veut pas et qui finalement y arrive.

On remarque que les femmes ont une place prépondérante dans vos films : la princesse dans La princesse insensible , la sorcière Karaba, la nourrice et la princesse dans Azur et Asmar… C’est important pour vous que les femmes aient cette place dans vos films ?

Je n’aime pas les imbéciles et je n’aime pas les salauds. Et les traitements des femmes et des fillettes par les hommes mauvais, c’est stupide, ça fait du mal à tout le monde, y compris à eux. Ça me met hors de moi. Je suis aussi très conscient, de plus en plus, de toutes les horreurs qu’on fait aux femmes dans le monde entier, mais en France aussi. Moi, il me semble que la condition féminine recule en France et je veux en parler. Et je n’ai jamais compris que les hommes veuillent piétiner les femmes. Moi, dès mon enfance, j’avais deux femmes automatiquement dans ma vie : ma mère et ma sœur. Je ne me suis jamais senti supérieur à ces personnes sensationnelles. C’est une évidence, et je ne comprends pas. Et dans mon prochain film, alors là, je fonce dedans.

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Dans vos films, il y a cette magie qui fait que chaque personnage a le pouvoir de créer à partir de rien et de faire de belles choses : les prétendants dans La princesse insensible, la sorcière Karaba, Les contes de la nuit… C’est un fantasme pour vous, de pouvoir créer en un claquement de doigts ?

Ce n’est pas un fantasme, c’est ma réalité tous les jours (rires). C’est un peu mon métier. Rien n’existe. Et au bout de quelques années, quelque chose existe.

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Vous avez fait de ce fantasme une réalité en fin de compte.

Oui. Et puis c’est un peu ce que j’ai fait toute ma vie et y compris en étant enfant, m’activant tout le temps et faisant des petites choses avec des bouts de papiers, des choses comme ça. Et je continue et je trouve que c’est intéressant de transmuter le plan en or. Ça me plaît. Transformer l’or en or je trouve ça vulgaire. Et arriver à faire quelque chose de bien avec peu, c’est bien. C’est magique.

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Vous êtes passés du découpage de papier, aux ombres, pour finalement faire du numérique aujourd’hui. Avez-vous une préférence pour l’une de ces techniques ?

Non, en gros, j’aime tout. Et aujourd’hui, on a un peu de mal à faire un long métrage sans ordinateur. Mais je regrette beaucoup le temps où je faisais des choses en bricolant avec mes dix doigts. L’ordinateur, quand même, c’est une frustration : on ne touche rien. Et aujourd’hui, la 3D est très compliquée et très lourde, et il y a des corps de métier différents à mesure qu’on avance dans le tournage, et les corps de métier savent faire une chose et pas l’autre. Et quand on arrive à ce stade là, qu’on s’aperçoit qu’ici il y a un truc qu’il faudrait changer, on te dit « Ah non, c’est trop tard ! Revenir en arrière ça coûte trop cher ! ». Alors que quand on faisait avec des bouts de ficelles, on se débrouillait, on le faisait sans avoir à appeler un corps de métier spécial. Sans se demander si c’était prévu dans le devis. Mais bon, le prochain que je suis en train de terminer il est tout numérique, 3D et 2D.

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Quelles sont vos inspirations ?

Tout. Je suis content de vivre au XXème et XXIème siècles où on a accès à tout – surtout au XXIème siècle avec internet. Toute la planète m’intéresse, à peu près toutes les civilisations m’intéressent. Je suis bien conscient de ne rien faire d’original puisque tout m’inspire, mais c’est quand même moi qui raconte. Je sais que j’utilise des matériaux venus de tous côtés mais c’est moi qui raconte et je n’ai pas vraiment un auteur qui m’inspire et je voudrais être tel auteur, non. Je suis moi et je grappille partout.

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Auriez vous des conseils à donner à quelqu’un qui débuterait dans les films d’animation ?

Le conseil que je peux donner c’est de filmer, filmer, filmer. Maintenant, avec le numérique, l’image, soit vue réelle, soit vue de l’animation, est quasiment à la portée de tout le monde et il faut filmer, filmer filmer. C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Alors, filmez, filmez, filmez, filmez, et puis essayez petit à petit d’être de plus en plus sincère, de plus en plus honnête pour toucher les gens. Je pense que les gens sentent quand vous êtes complètement innocent et honnête et que vous ne vous foutez pas de leur tête.

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Un immense merci à vous, Michel Ocelot.

Crédits photos : Chloé Gingast

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