« Les concerts au 58, c’est fini ». L’annonce est tombée sur les réseaux sociaux comme un couperet le 11 septembre dernier. Cinq ans après son ouverture, le Void baisse rideau. Au-delà de cinq années au service des artistes, acteurs culturels et autres amateurs de musiques indépendantes, c’est toute une page de l’histoire des cultures alternatives à Bordeaux qui se tourne. Zoobizarre puis Plug puis Heretic avant de devenir le Void en décembre 2015, le 58 rue du Mirail a accueilli depuis 1997 un nombre de concerts et soirées incalculables, contribuant à dynamiser à son échelle un centre-ville bordelais endormi, en manque cruel de lieu d’expression artistique. Ayant rencontrés Pierre-Antoine et Boubi (deux des animateurs du projet) au lancement du Void et en tant qu’adeptes de cette salle, nous avons souhaité lui rendre un hommage en donnant la parole à celles et ceux qui l’ont expérimenté. Ils et elles sont promoteurs, artistes ou public. Ils partagent toutes et tous une même passion pour les cultures indés, pour les espaces singuliers, pour la cave du 58 et son équipe. Témoignage (premier volet, un deuxième suivra).
Crédit photo : William Millaud
Floriane Fontaine (Make It Sabbathy)
« Ouvert sur la musique, sur l’art, engagé politiquement, libre, révolté. Le Void c’était bien plus qu’une salle de concert, c’était un état d’esprit, une culture. Sa fermeture suscite beaucoup de questions sur l’avenir et la place de la musique alternative à Bordeaux. Le Void a hébergé un paquet de soirées Make It Sabbathy. Je me souviens des mythiques dégustations de couscous végétariens dans les loges, des énièmes matos de musique descendus près de la scène puis remontés en fin de soirée, ou des interminables salutations dans le hall d’entrée enfumé (on y croisait toujours quelqu’un !).
Il faut savoir que la plupart sont bénévoles (peut-être même tous), ils donnent de leur temps pour que les différentes scènes underground puissent vivre et avoir un point de repère.
Make It Sabbathy aura invité Stoned Jesus, The Vintage Caravan, La Chinga, Witchthroat Serpent, Saviours, Glowsun, Belzebong, The Necromancers, DDENT, Psilocibina, Orotoro, Naxatras, Suma, Clystone, Stonebirds, Witchfinder et bien d’autres encore au Void. Et je passe les groupes qui ont joué dans la salle alors qu’elle s’appelait encore l’Heretic. En tant qu’orga, on a toujours pu compter sur disponibilité et l’engagement de l’équipe. Il faut savoir que la plupart sont bénévoles (peut-être même tous), ils donnent de leur temps pour que les différentes scènes underground puissent vivre et avoir un point de repère. C’était une chance et une facilité pour nous d’avoir un lieu comme celui-ci pour nous exprimer. Bravo et merci ! »
Greg et Mathieu (45 Tours Mon Amour)
« Le Void représentait beaucoup pour nous. Toutes les personnes, qui nous suivent, savent à quel point nous sommes attachés à ce fameux 58 rue du Mirail. Le lieu semblait peu aimable à première vue. On s’engouffrait dedans comme dans un long tunnel nocturne avant de se faire avaler dans son antre humide au doux parfum de houblon dans laquelle les corps se bousculaient au son des basses trop fortes. Pas très emballant comme ça, on sent pas vraiment de chaleur humaine ici et pourtant… Ce lieu nous a énormément donné et on lui a bien rendu d’ailleurs. Il était pour nous un espace de liberté, proche des gens, dans lequel nous avons aiguisé pendant des années notre identité. Il nous a vu naître en tant que 45 Tours Mon Amour, il y a plus de 10 ans déjà. On y a fait nos premières armes en tant qu’organisateurs de concerts et de soirées avec notre asso HMNI. À l’époque, ça s’appelait encore l’Heretic et ça sentait pareil, la bière, la clope et la sueur. On y a enchainé les concerts de tous bords, les concepts fumeux de soirées aussi. Mais toujours dans l’esprit de partager une certaine idée de la fête et de la musique qui va avec.
Pour tout dire nous sommes surtout en colère, furieux de voir le dernier lieu alternatif à taille humaine, situé en centre ville, baisser le rideau.
C’est con mais on se sent orphelin aujourd’hui de notre salle fétiche, tristes parce qu’on laisse tellement de souvenirs dispersés entre ses murs, de fêtes sans fin, de nuits électriques, d’amitiés créées. Certains diront aussi qu’on y a perdu quelquefois notre dignité et sûrement pas mal de notre jeunesse. Tristes aussi pour l’équipe du Void qui nous a fait confiance toutes ces années. Et pour tout dire nous sommes surtout en colère, furieux de voir le dernier lieu alternatif à taille humaine, situé en centre ville, baisser le rideau. Un lieu ouvert où on pouvait croiser des gens de tous les horizons, des punks, des clubbers, des fêtards perdus à tout heure de la nuit. Un lieu où on pouvait s’exprimer sans forcément se faire juger. Ça sera à coup sûr très compliqué de trouver un remplaçant au Void mais on espère malgré tout qu’on retrouvera un peu de son âme ailleurs… Adieu le 58 rue du Mirail, tu nous manques déjà, et merci pour tout ! Bises et gros soutien à Pierro et François et à toute l’équipe du Void ! »
Andrea Liqueer (Maison Éclose)
« C’est un de ces rares vestiges de belles nuits dans les lieux associatifs, un de plus qui meurt dans Bordeaux. Un lieu avec une forte identité, un lieu associatif avec des prix abordables, un lieu indépendant. Je suis triste d’apprendre la fin de l’aventure du Void. Dans ce lieu, on pouvait se retrouver entre diverses minorités ou groupes de cultures underground. C’est un peu le lieu où a commencé une prise de conscience pour moi qu’on pouvait s’engager dans la fête. J’y ai vécu mes premières soirées Bordelle ! C’est avec les prémisses des Bals Queer de la Bordelle que je me suis dit qu’il y avait du mouvement dans ma communauté. Du mouvement vers une fête consciente, éclectique, décomplexée, soucieuse d’un besoin de diversité en tous points, et tout simplement Queer !
On y a fait l’une de nos premières sorties Drag avec Maison Éclose, et on a même réussi à rentrer dans la programmation d’une soirée « Tokyo Décadence » avec Freddy Thuon et l’Indomptable Cabaret. On avait été super bien accueillies par Pierre et Karim !
On y faisait de ces rencontres qui remplissent le cœur d’espoir en l’humanité.
J’y ai vécu ma première et unique performance interactive que j’ai faite. Et c’est un souvenir que je suis sûre de garder toute ma vie. J’avais un masque type chirurgical (ou covid si ça parle plus), et une laisse autour du cou. J’avais pour principe de ne pas parler et de me soumettre silencieusement à des personnes au hasard dans la soirée. Un mec, avec qui le principe a vraiment bien pris, m’a carrément ramenée jusqu’à la sortie du Void car il voulait me ramener chez lui, et je lui ai fait comprendre que ma performance se limitait à ce lieu. Il était chaud comme la braise, mais il m’a respectueusement demandé s’il pouvait m’embrasser, s’est contenté de ça et m’a rendu ma laisse. J’ai trouvé ça super beau. On y faisait de ces rencontres qui remplissent le cœur d’espoir en l’humanité. Merci à toute l’équipe pour ces belles expériences ! »
Jean-Charles Medina (ex-Metronome Fest, Colision)
« « — Ok. Alors tu veux programmer, c’est ça ? Bon, rempli ça déjà. Et on te fera un retour. » (juin 2014). Et c’était parti pour 5 années d’organisation de concerts en parti au Void (et ex-Heretic). En envoyant des mails on expliquait parfois aux groupes et à certain tourneurs déconnectés que c’est l’endroit parfait, le «c’est le CBGB de Bordeaux.».
Par son sol aux carreaux emblématiques et à sa programmation issue d’une multitude de collaborations, le Void était une référence. Une fois le sas franchi on y retrouvait les stickers et grafs témoignant d’un passé riche et coloré à en étonner plus d’un-e.-
« — Tu comptes t’y prendre comme ça ? À ta place j’aurais peut être fait ainsi, ça te sera plus simple. Envoie un mail si tu as besoin de plus. » (novembre 2016). Ça se tirait vers le haut. Le 58 c’était ce cube sombre qui arrivait à te mettre en transe à chaque concert. Une transe rendue grâce à un travail d’équipe : team, orgas, groupes et public. Tous manœuvrant à son échelle pour une culture underground libre et accessible.
« — Vous avez fait les connards avec l’orga et donc avec nous, vous prenez vos affaires et vous vous cassez d’ici !» (mai 2018). De la rage issue de valeurs communes, on savait pourquoi on programmait là-bas. Rencontres, rires, échanges, litiges, pleurs, chaque soir alimentait ton savoir et ton expérience.
Pignon sur rue et jamais déconnecté de la réalité, le Void c’était un authentique lieu social alternatif, culturel et indépendant.
« — T’es en galère pour dormir ce soir ? Tu veux que je te dépanne le dortoir ? » (octobre 2015). Au-delà même des concerts, c’était une salle humaine, celle qui connaissait les difficultés de la vie car elle-même y était confrontée. Pignon sur rue et jamais déconnecté de la réalité, le Void c’était un authentique lieu social alternatif, culturel et indépendant. »
Nolwenn Migaud (Banzaï Lab)
« Ce sera impossible d’oublier cette agréable sensation en entrant dans le sas du Void… L’ambiance sombre et underground, les murs peints, la déco, le verre offert à chaque adhésion (une bonne surprise en arrivant pour beaucoup)… C’était un bonheur d’organiser des soirées dans cette cave obscure, d’y faire raisonner du hip-hop, alors que la veille c’était un groupe de punk sur scène et que le lendemain ce sera une soirée techno. Cette diversité et la bonne bière du bar, faisait du Void la salle emblématique du quartier Victoire.
« Y’a quoi au Void ce soir ? C’est à 20h ou à minuit ? »
Le fait que ce lieu soit dans l’hyper-centre, c’était un vrai lieu de rendez-vous, très accessible et, un vrai lieu de rigolade, plein de surprises (« y’a quoi au Void ce soir ? C’est à 20h ou à minuit ? »). L’équipe de Banzaï Lab se joint à moi pour envoyer un maximum de soutien à la team du Void. »