Fondé en 2014, Rue89 Bordeaux propose un journalisme de proximité tout en défendant une vision indépendante du métier. Grâce à ses enquêtes de terrain (sur des sujets politiques, écologiques, d’urbanisme…), le média s’est fait une place de choix dans un écosystème régional pas très dynamique voire même « pauvre en pluralisme de la presse » selon Walid Salem, co-fondateur du pureplayer (100 % en ligne) aux côtés de Simon Barthélémy. Six années après sa création, Rue89 Bordeaux a besoin de 1000 abonnements pour continuer à exister. Une campagne a été lancée et se terminera le 30 janvier 2020. A 15 jours de sa clôture, nous avons posé quelques questions à l’un des deux fondateurs du média pour en savoir plus sur son état d’esprit, sa vision de la presse au niveau local et l’état de l’indépendance de la presse en France et dans la région.
Photo : Walid Salem et Simon Barthélémy de Rue89 Bordeaux (DR)
Le Type : Rue89 Bordeaux est né le 30 janvier 2014. Fin 2019, vous avez lancé un appel au soutien de vos lecteurs en vue d’atteindre 1000 abonnements avant le 30 janvier 2020. Et ce afin de « continuer à exister », « d’assurer la pérennité de votre site d’information local », sans quoi le site tirera sa révérence selon vos propres mots. À quelques semaines de la fin de la campagne, où en êtes-vous et quel est l’état d’esprit de la rédaction ?
Walid Salem : Notre campagne a atteint 570 abonnements à 20 jours de la date ultime, c’est à dire le 31 janvier. Ce chiffre peut soulever des questions quant à la pérennité du site. Mais si on doit comparer cette campagne à une campagne de crowdfunding traditionnelle, une grosse vague peut encore arriver sur les dix derniers jours. Ceux qui attendent le dernier moment par exemple, ceux qui se disent “ils n’ont peut-être pas besoin de moi”, ceux qui n’ont pas pris conscience de l’importance de l’appel, etc.
Nous gardons espoir. L’équipe continue à travailler et à prévoir des projets pour après le 31 janvier.
Nous gardons donc espoir. L’équipe continue à travailler et à prévoir des projets pour après le 31 janvier. S’il faut tout suspendre à la dernière minute, on va bien sûr le regretter. S’il nous est possible de continuer, on aura quand même préparé la suite.
Pour un média en ligne comme le vôtre, vous estimez que la seule solution est de passer par le soutien des abonnés, des lecteurs ? Qu’en est-il des sources de financements comme les subventions (publiques) et des partenariats ou de la publicité ? Quelle proportion cela représente dans le modèle économique de Rue89 Bordeaux ?
L’information est un bien public, mais l’information doit être soutenue et financée par ses lecteurs. Nous sommes un média indépendant et nous voulons le rester. Cette indépendance nous permet une liberté de ton, une liberté dans le choix et le traitement des sujets… On n’a de compte à rendre à personne, à part à notre audience qui s’engage déjà dans la diffusion de certains sujets, dans la fourniture d’un complément d’informations, mais aussi se manifeste quand un sujet ne lui plaît pas !
Pendant longtemps internet a été synonyme de gratuité, mais ce n’est plus tenable. Car les médias en ligne aujourd’hui y vont pour une activité principale et non plus pour avoir une vitrine en plus.
Nous avons d’autres sources de financements mais qui nous détournent de ce qu’on a envie de faire et de bien faire : c’est à dire le journalisme. Notre équipe est petite et il vaut mieux qu’elle soit entièrement dédiée au contenu du site. Nous souhaitons donc abandonner les activités et les événements organisés à côté pour faire rentrer de l’argent. A terme, si on peut se le permettre, nous souhaitons également abandonner la publicité sur le site et proposer une meilleure ergonomie pour une meilleure lecture. Mais pour l’instant, les revenus de la pub représentent la moitié de nos ressources. Donc, ce n’est pas pour demain !
Quant aux subventions, elles sont accordées sur des opérations précises et sur un programme précis : éducation aux médias, pédagogie de proximité… qui demandent aussi du temps et des moyens humains.
À quoi vont vous servir les ressources obtenues via l’abonnement des 1000 lecteurs ?
Les 1000 abonnements serviront tout d’abord à obtenir des rentrées financières régulières et ne plus dépendre d’une trésorerie fluctuante. Ces entrées permettront de rémunérer correctement les permanents qui travaillent tous les jours pour le site. C’est à dire nous deux associés actifs, Simon Barthélémy et moi-même. Pour l’instant, nous bénéficions de petites indemnisations, ridicules au regard de notre investissement total et complet pour le média.
Les sommes serviront également à améliorer les salaires des piges que nous proposons depuis 2014 au même tarif. Ce n’est pas tenable pour nos journalistes. Ils perdent la motivation en devenant de plus en plus précaires. Certes l’état de la presse est difficile en général, mais on voudrait aussi que cette campagne d’abonnements attire l’attention sur ce point. Si on veut une presse de qualité, il faut la soutenir. Sinon, il restera seulement les médias vitrines dans lesquels investissent les milliardaires en contrôlant d’une manière ou d’une autre le contenu.
C’est pour ne pas être déconnecté de la cité qu’il faut soutenir la presse locale.
Pour vous, quel rôle joue (ou doit jouer) la presse locale ? Pourquoi est-il indispensable de la maintenir et de soutenir son activité ?
La presse locale est une presse de proximité. Et c’est essentiel ! Aujourd’hui internet propose des informations venues des quatre coins du globe. Ces informations nous accaparent et nous distraient. On frise l’infobésité. Et du coup, on n’a plus le temps de s’informer correctement sur ce qui se passe en bas de chez nous : pourquoi un tram passe par là et pas par là ? Pourquoi cet aménagement et pas un autre ? Pourquoi et comment la ville et ses services évoluent ? Qui sont nos élus ?… et d’autres questions de notre quotidien.
C’est pour ne pas être déconnecté de la cité qu’il faut soutenir la presse locale. D’autant plus que son rayon est restreint et donc ses chances de rentabilité aussi.
Comment construisez-vous et entretenez vous des liens avec vos lecteurs et votre communauté au niveau local ?
Notre communauté s’est faite spontanément, en fonction de notre ligne éditoriale. On nous identifie aujourd’hui sur des sujets précis, dans des domaines précis : comme le social, l’écologie, l’urbanisme… Une partie de cette communauté est fidèle. Et pour la rencontrer, nous avons à plusieurs reprises organisé des manifestations : des concerts, des manifestations culturelles, des rencontres et débats, des salons de vin bio et naturel, des conférences de rédaction publiques…
Bordeaux est une métropole qui est pauvre en médias, pauvre en pluralisme de la presse.
Comment percevez-vous le dynamisme (ou non) de l’écosystème média au niveau local et régional ?
Bordeaux est une métropole qui est pauvre en médias, pauvre en pluralisme de la presse. Il y a très peu de diversité comparé à d’autres ville comme Marseille ou Lyon. Une ville comme Bordeaux mérite bien plus, pour aussi afficher une bonne santé démocratique. Il y a encore de la place à prendre. C’est le modèle économique qui est compliqué à trouver malheureusement.
Pourquoi en 2020 l’indépendance des médias vous semble plus que jamais nécessaire ?
Premièrement, l’information ne se limite pas à la publication des communiqués de presse ou de pomper des dossiers de presse. Il faut d’autres sources qu’une source officielle, il faut recouper, avoir des avis. Tout ça prend du temps, et donc de l’argent.
Et puis il y a les informations qu’il faut dénicher. Ces enquêtes demandent du temps et de l’argent aussi. On n’a plus les moyens de le faire, c’est bien connu et beaucoup d’études tirent la sonnette d’alarme sur le manque de moyens pour faire un bon travail d’investigation.
En plus de la nécessité d’avoir ces moyens, il y a aussi la nécessité de rester indépendant. Sans ça, la presse n’est plus libre. Elle ne doit pas se compromettre non plus. Et s’il faut encore le rappeler, la liberté de la presse est un baromètre important de la qualité d’une démocratie. Dire pourquoi l’indépendance des médias est nécessaire, revient à dire pourquoi la démocratie est nécessaire. Or la question ne devrait pas se poser.
}