Figure respectée de la scène électronique mondiale, le russe Andrey Pushkarev est de passage à Bordeaux le vendredi 20 septembre. Invité par le collectif Hill Billy, il a accepté de répondre à nos questions juste avant sa date à l’Iboat. En tant qu’artiste bien ancré dans le milieu dans lequel il évolue depuis une vingtaine d’années, il évoque avec nous l’évolution du circuit, sa collection de plus de 8000 disques (!) et nous parle de la scène russe, ses spécificités et les acteurs qui la composent. Du fait du contexte géopolitique, on ne s’est pas non plus interdit de lui poser quelques questions sur les liens entre son pays et les scènes de Kyiv ou de Tbilissi. L’entretien est à lire en anglais plus bas. ENGLISH VERSION BELOW !
}
Le Type : Salut Andrey, merci beaucoup de prendre le temps de répondre à nos questions. On est ravis de te voir venir jouer à Bordeaux. Au-delà de Paris, tu as déjà été invité dans un autre club ou festival en France ?
Andrey Pushkarev : Salut Le Type, merci pour vos questions ! J’ai déjà joué à Marseille, Lyon et souvent à Nice, au FACE Music & Art où j’ai toujours eu de belles expériences et de grosses ambiances. D’ailleurs la plupart du temps je partageais les platines et le line up avec des collègues DJ que j’affectionne autant sur le plan pro que perso.
Tu as la réputation de détenir une collection impressionnante de vinyles, avec pas moins de 6000 disques. C’est bien ça ? Tu te trimballes toujours avec certains d’entre eux ou tu emportes aussi tes clés USB quand tu joues ici ou là ?
La collection atteint maintenant entre 8000 et 9000 disques ! Pour un set, disons, classique, j’embarque environ 70 disques. Et le double lorsqu’il s’agit d’un all night long. Et j’ai toujours aussi des clés USB en cas de pépin technique avec les platines, et aussi histoire de pouvoir jouer des promos que je n’ai qu’en digital.
Tu évolues dans le milieu depuis maintenant un bon bout de temps, avec ta carrière qui a démarré à tes 15 ans et une résidence que tu as eu dès 2006 pour DeepMix. À l’époque, la culture et la musique techno était réservées à des cercles retreints plutôt « undergound ». Qu’est-ce qui selon toi a changé dans ce milieu entre temps ?
Peux-tu nous parler un peu de la scène électronique en Russie, en particulier de Moscou ? Quels sont les clubs, labels, disquaires ou médias spécialisés dans cette culture là-bas ?
La Russie est un vaste pays où la musique électronique a émergé au sein de micro-scènes indépendantes. Il n’y a pas vraiment de sentiment fort d’une scène unifiée. C’est peut-être dû au retard de développement et de professionnalisation du circuit ici ou au fait d’être excentrés, à la faiblesse des moyens de promotion, ou même à la langue et son alphabet qui rendent la musique russe pas si facile d’accès. La jeune génération d’artistes de musique électronique travaille relativement indépendemment les uns des autres. Chacun a ses propres intérêts et c’est sans doute la raison qui fait qu’il est si difficile de définir une cohésion au sein de la scène musicale. Ce qui n’est pas forcément un frein ; cela ralenti simplement peut-être la reconnaissance de la musique contemporaine russe sur le plan international.
En ce qui concerne les labels, je mentionnerai Gost Zvuk, basé à Moscou qui fait de la lo-fi. Ils développent leur propre identité avec une ligne assez claire et une esthétique singulière, en ne signant que des artistes russes. Il y a aussi des labels ambient ou de dub techno tels que Space of Variants ou Slow Beauty de Martin Schulte. Je constate d’ailleurs que la scène mondiale scrute avec attention les sorties russes par rapport à avant, ce qui prouve que la scène électronique russe est bien active.
Au cours des dernières années, il y a eu davantage d’événements, de clubs, de sous-scènes, de diversité dans le public et, par conséquent, plus d’impact. Il y a des lieux tels que Propaganda à Moscou qui est ouvert depuis 20 ans, ou encore Gazgolder, Rodnya ou Stackenschneider à Saint-Pétersbourg. J’aimerais également mentionner le Synthposium Festival à Moscou, qui rassemble des artistes russes de différentes disciplines artistiques, mélangeant musiques électroniques et technologies. En dehors de la capitale il existe aussi une scène avec le Sklad club à Nijni Novgorod ainsi qu’avec le Studio, à Perm, qui invite principalement des artistes russes. A Moscou je bosse souvent avec le collectif Slowdance ; cette année ils ont lancé le MAP festival pour promouvoir un line up diversifié, composé d’artistes internationaux et de locaux. Aussi, je souhaite souligner que le nombre de médias russes qui s’intéresse aux musiques électroniques est relativement faible. Calvert Journal et INRUSSIA font du bon taff en se focalisant sur l’actuelle génération d’artistes et de producteurs, dans toutes les disciplines, même si les promoteurs locaux n’ont pas l’air d’y prêter une grande attention. Bien qu’il y ait de l’enthousiasme qui permet de faire évoluer les choses, dans les régions en dehors de Moscou ou Saint-Pétersbourg, la scène est très peu développée…
Au-delà de Moscou, il y a donc également Saint-Pétersbourg qui a l’air aussi d’être très active et dynamique sur le plan des musiques électroniques, avec des festivals comme le Gamma, la radio TEST FM… Comment expliquer que cette ville soit un tel terrain de jeu pour les artistes et les autres acteurs du game ?
Saint-Pétersbourg a toujours été – et l’est encore – la plus européenne des villes russes. C’est donc très probablement pour cette raison qu’elle attire la nouvelle génération d’artistes, qui peuvent s’exprimer de manière plus libre. Il faut aussi garder en tête que le premier club techno russe, Tunnel, a ouvert à Saint-Pétersbourg ! Les premières platines Technics ont été importées et conçues à Saint-Pétersbourg. La ville a sa propre histoire de relation avec la culture rave.
La capitale de l’Ukraine, Kyiv, a également une scène rave très active, avec notamment les teufs de Cxema. As-tu déjà joué en Ukraine et entretiens-tu des connexions spécifiques avec cette scène ? Est-ce que la scène russe (Moscou notamment) est connectée avec la scène de Kyiv malgré les tensions politiques entre les deux pays ?

La question peut se poser aussi pour Tbilissi, la capitale de la Géorgie (que nous avons avec Le Type récemment mis en avant lors du lancement de notre projet Scene city qui explore certaines scènes européennes, dont Tbilissi et Moscou d’ailleurs !). Là-bas la scène est très active avec les clubs Bassiani, Khidi, le disquaire Vodkast Records… Il y a eu des tensions en juin dernier entre Tbilissi et Moscou au niveau politique (plus d’infos ici). Quelle est ta vision de Tbilissi et est-ce que les DJ russes soutiennent la scène électronique de Tbilissi ?
)
ENGLISH VERSION
Le Type : Hi Andrey. Thanks a lot for answering Le Type’s questions. We’re glad you’re coming in our beloved city Bordeaux. Besides Paris, have you ever been playing in any other French cities? If yes, where was it and how was it?
Andrey Pushkarev : Hello, thanks for your questions :) I played in Marseille, Cesarhof, Lyon and several times in Nice, for FACE Music & Art – I always had a very positive experience there. Warm audience and I mostly shared the decks and line up with DJ colleagues I enjoy the company the most professionally and at personal level.
You have the reputation to have a huge collection of vinyles/music. 6000 records, right? At an age where everything is digitalised, how is it to find yourself surrounded by your discs? Do you still bring some of them to play at your gigs or do you use USB keys?
You’ve been evolving in the electronic music field from a long time now, starting your career at the age of 15 and having a residence in 2006 for DeepMix. At that time, techno was mainly played in underground circles. What has changed the most in the electronic music world according to you?
Can you tell us about Russia and electronic music and about Moscow? What are the main club, record labels, record shops and electronic music media there?
In terms of record labels I would mention the lo-fi label Gost Zvuk from Moscow. They are doing their own thing with a clear idea and aesthetic releasing only Russian artists. There are also ambient and dub techno labels like Space of Variants as well as Martin Schulte’s Slow Beauty. Overall I see that the international music scene is paying more attention to Russian artists compared to the past and this proves that the Russian electronic music scene is alive. In the last years there have been more events, clubs, sub-scenes, diversity in the audience and overall more impact.
There are venues like Propaganda (Moscow) which has been open for over twenty years, Gazgolder (Moscow), Rodnya (Moscow), Stackenschneider (St. Petersburg). I would also mention Synthposium Festival (Moscow) which brings together Russian artists in interdisciplinary forms of arts blending electronic music and technology. There is also a scene outside of the main capitals with Sklad club (Nizhny Novgorod) and Studio (Perm), which mostly invite Russian artists. In Moscow I work often with the Slowdance crew – this year they launched MAP festival showcasing an eclectic line up of international acts and local artists. I would emphasize that the amount of Russia-based online music media writing also in English is still small. Calvert Journal and INRUSSIA are doing a good job in focusing on the current generation of artists (from every fields) and producers too but this still seems to escape the ears of too many local promoters. Although there are some enthusiasts who have tried to change the situation, in the regions outside Moscow and Saint Petersburg the music scene is still unexplored.
Beyond Moscow, St Petersbourg seems to also have a very active and dynamic scenes with actors such as GAMMA Festival, TEST FM… How can you explain that this city is such a playground for artists and other actors?
St. Petersburg has always been and remains the most European city in Russia. It’s probably for this reason that it attracts the new generation of artists, allowing them to express themselves more freely. We should recall that the first Russian techno club “Tunnel” was opened in St. Petersburg. The first Technics turntables were brought and settled in St. Petersburg. The city has its own rave history.