La création artistique en période atypique : Sahara (1/8)

À travers les artistes et leurs œuvres, il est possible de pressentir le reflet d’une société et de constater le spectre d’une époque. Cela vaut d’autant plus lorsque celle-ci fait face à une période de crise. C’est pourquoi Le Type a décidé de jeter l’ancre dans leur intimité, afin d’essayer de comprendre leur rapport à la société et à la vie mais aussi d’aborder leurs innombrables façons de créer. Et pour cela, quoi de mieux que La Pépinière, l’incubateur d’artistes de musiques actuelles qui se terre dans les profondeurs du Krakatoa ? Chaque année, elle réunit une fine sélection des artistes les plus prometteurs de la scène bordelaise, où ils sont accompagnés au profit du développement de leurs projets musicaux. C’est donc une série de huit interviews que nous débutons, avec aujourd’hui le duo pop psychédélique Sahara, incarné par Blondine et Jeremy. 

Crédit photo : Chloe Gourmanel

Le Type : Selon Sahara, c’est quoi le rythme de vie d’un artiste confiné ?

Sahara : C’est pas de rythme de vie du tout… de la musique un peu tous les jours, comme tout le temps. Je sais pas si on peut parler d’une vie particulière pour des artistes confinés. En période « normale », on recherche assez souvent à se retirer du monde pour composer. On oscille entre des journées très actives et d’autres où l’on ne fait rien. On pourrait pas découper en tranches horaires, il n’y a aucune régularité. Se réveiller naturellement et faire à notre guise soit des arrangements, composer soit sur l’ordi soit à partir de nos instruments, répéter tous les deux, regarder des séries, apprendre à coder, lire, jouer aux jeux vidéos et écouter tous les albums mythiques qu’on a raté. En ce moment, c’est l’œuvre complète de Philip Glass.

Quels avantages et inconvénients tirez-vous de la création sur une temporalité modifiée ? Trouvez-vous des inspirations ou des façons de créer différentes ?

Pour nous, l’enfermement est propice à la création. Même en dehors de cette période de confinement, on recherche assez souvent ça pour composer, la différence c’est que là c’est forcé et que malgré tout, on ne peut pas trouver d’inspiration parmi des évènements ou des phrases vécues avec autrui. Peut être que nos créations sont davantage dans l’introspection mais c’est trop tôt pour tirer une conclusion. En général, conscientiser, donner des définitions, comprendre ce que l’on a réalisé, se fait bien après la création.

Pour nous, l’enfermement est propice à la création.

Une façon de créer qu’on développe davantage depuis le confinement sont les échanges de maquettes par e-mails et WeTransfer avec des ami-e-s musicien-ne-s dans d’autres pays. Tout simplement pour s’amuser, peut-être que c’est aussi une manière de maintenir le lien malgré les fermetures des frontières. On essaie aussi de pousser quelques aspirations cachées au bout, comme le fait de créer un petit jeu vidéo, on réalise plusieurs clips maisons et on développe nos envies graphiques et numériques. En général, la fuite artistique est fortement numérique pour le moment, ça s’entend déjà dans nos nouvelles maquettes. En tout cas, ça doit être plus difficile pour des personnes qui travaillent toujours dehors de se retrouver soudainement cloîtrées tous les jours.

© Sahara. Blondine dans l’espace aménagé spécialement pour le confinement par le duo dans la maison d’enfance de Jeremy.

Les autres musiciens nous manquent

Aujourd’hui, quelles sont vos craintes et doutes sur le fait d’avoir une activité réduite ?

Évidemment, la peur de ne pas pouvoir faire des tournées, la peur de ne pas pouvoir refaire sereinement des concerts avec un public nombreux. Les autres musiciens nous manquent, le fait de se mettre en scène aussi. On pense que la forme de nos activités vont se redéfinir mais elles ne seront pas réduites. Il va falloir par contre être vaillant-e-s pour pas subir une redéfinition des évènements culturels afin d’éviter que le secteur de la musique indépendante ne soit complètement broyé, déjà que c’était déjà pas facile. Mais la peur surtout pour les autres que la crise touche tant leurs activités qu’ils ne pensent plus à se divertir, la peur de la précarité croissante pour nos entourages, la peur de la surveillance accrue du peuple.

Est-ce que cette crise vous fait imaginer le futur différemment et donc votre carrière d’artiste post-confinement d’une autre façon ?

On n’a pas l’impression de mener « une carrière » ; ça rappelle une idée de « gravir des échelons » et c’est assez éloigné de notre conception de faire de l’art. On ne fait pas de différence entre « notre vie d’artiste » et la société dans laquelle on vit. Les craintes qu’on a exprimé au dessus font monter notre sentiment urgent de s’engager au delà de « notre musique ». Faire de la musique ne peut pas se réduire à un simple divertissement passif.

Donc oui, on pense que notre volonté de dire et de divertir va sans doute davantage s’allier avec l’envie de déconstruire les grands discours politiques dont nous sommes assaillis, de démonter la pensée unique et d’unir. Les drones, tracer les gens, diviser les gens, la politique qui se durcit envers les personnes qui essaient de porter un regard différent, l’indifférence grandissante envers les plus précaires et ce qui se passe aux frontières. On pense aussi créer de plus en plus pour et avec notre entourage direct et essayer de faire du bien à nos ami-e-s et notre famille. On pense déjà à développer des évènements de concerts à tailles réduites, comme les concerts en appartement, avec des formats un peu différents et où on pourra être plus proches des gens, voir les y impliquer plus qu’auparavant.

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L’extrait du groupe

La reprise franco-portugaise du titre « Roda Viva » de Chico Buarque par Blondine.

« C’est une semi-création, puisque qu’il s’agit d’une version franco-portugaise d’une chanson de Chico Buarque.
On a voulu rendre hommage à la philosophie populaire et politique de l’oeuvre de ce grand artiste.
J’ai aussi invité Rita Braga et Jorge William Fernandes d’ajouter leurs voix,
Willows de faire quelques choeurs, à mon loverboy Jeremy Lacoste de faire de la basse.
Pour la vidéo, j’ai demandé aux copains des quatre coins du monde d’envoyer un souvenir
pour faire une vidéo-amigo-melo-photo-vieux-film-lofi
dont la recette a pour seul objectif d’éveiller en vous un sentiment de nostalgie
et une émotion incontrôlable et bienveillante, comme quand les violons rentrent dans un Blockbuster hollywoodien »

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