Bordeaux : Too Many DJ’s 5/5 – DJ Breizmattaz (du St Tropez Soulful Patrol)

Vivier culturel, la ville de Bordeaux regorge de talents dans différents domaines, du théâtre à la danse, en passant par le cinéma ou la musique. A travers la série Too Many DJ’s, le Type a voulu mettre un coup de projecteurs sur ceux qui ambiancent nos soirées dans les bars et clubs locaux, grâce à des sélections de disques savamment maîtrisés. Ce dernier volet est consacré à DJ Breizmattaz, moitié du St Tropez Soulful Patrol !

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Quel(s) genre(s) musicaux mixes-tu ?

Je précise que ce que je raconte n’est que le reflet de ce que je pense (Dj Breizmattaz), mon comparse King Megalodon n’ayant pas eu le temps de répondre…

Saint Tropez Soulful Patrol (Dj Breizmattazz + Dj King Megalodon) vient de fêter ses 10 ans d’activité, donc nos goûts ont un peu évolué et se sont étendus. A la base (2005-2006), on a une grosse appétence pour la musique Jamaïcaine des sixties (ska,  early Reggae) et la soul (particulièrement la Northern). A force, on s’est mis à explorer plein d’autres choses : le lover à tendance funk, le rubadub et le dancehall pour le coté Jamaïcain qui n’est d’ailleurs plus majoritaire. Pour le coté afro-américain, qui doit constituer les deux tiers de nos sets, on a effectué de gros virages vers le modjazz, le rhythm’n’blues, le funk du début.

On est aussi depuis 4 ou 5 ans des gros fadas de boogaloo, de latin soul. Plus plus récemment on est tombé dans la cumbia, La rumba catalane ou quelques trucs brésiliens… On est principalement intéressés par les musiques qui se dansent à deux durant une période qui va de la fin des années 50 au tout début des années 70. Mais on est pas non plus des puristes. On s’intéresse aux groupes actuels qui essayent de reproduire ces sons et cette scène n’a jamais été aussi puissante qu’en ce moment malgré une relative indifférence générale… Enfin on s’autorise aussi quelques incursions vers d’autres trucs plus anecdotiques comme les groupes sixties européens, les instrumentaux Jerk/Freak Beat, le hip hop old school les remix et autres mash-ups…

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Quels types de lieux, de soirées ?

Grosso modo on intervient dans trois types de lieux ou de moments. Les premiers sont les lieux associatifs ou qui ont une certaine exigence culturelle « rock/indé/alternative ». D’une manière générale ce sont des lieux avec qui on partage des  valeurs éthiques, sociales politiques ou autres. On passait souvent à L’Heretic après des groupes de punk, de hardcore, pour la soirée Vegan de Noël ou ce genre de trucs. Un de nos moments phares est la ST Roger où on clôt la soirée après l’habituel concert des locaux de la Replik (tout les 30/12). Vu que les gens ont décidés de se mettre une mine ça danse à fond… On est aussi des habitués des apéros de l’IBoat, l’été et là, c’est différent parce qu’il ne s’agit pas de faire danser les gens entre 2 heures et 4 heures du mat’, mais d’ offrir une programmation plus posée, ça nous permet d’essayer des trucs et de sortir d’autres disques plus cools.

On joue aussi dans des endroits un peu plus généralistes comme les pubs anglais ou les rhumeries où il est peut être plus difficile de faire bouger les gens mais qui, d’une manière générale offrent des conditions d’accueil plus que correctes. Je pense par exemple au H.M.S Victory, au House Of Parliament ou le Bambou à Montalivet avec qui on s’entend super bien et qui ont une vrai démarche de programmation

On a aussi fais pas mal de lieux sans pouvoir établir de résidence régulière. Il y a plusieurs raisons à ça, notamment les tracasseries avec le voisinage qui cassent toute volonté des nouveaux proprios de développer des trucs et installer les choses dans temps. A l’inverse, certains limonadiers croient que parce qu’on va passer de la soul ,on va passer « A.B.C » des Jackson 5, Whitney Houston. Les mecs savent pas vraiment ce qu’ils veulent, ils t’embauchent croyant que tu vas leur ramener du monde sans avoir rien à foutre, sont mal équipés, te demandent de baisser le son, se prennent pour les nouveaux rois de la nuit et nous ressortent le couplet de « l’entrepreneur courageux écrasé par les charges » au moment de passer à la caisse… On a pas mal expérimenté ce genre de plan et malheureusement on est bien loin d’une époque où les patrons de bars géraient leurs affaires correctement, te laissaient faire ta sauce mais payaient leur coup et discutait musique avant de remballer. On est dans l’immédiateté faut que ça tourne et peu travaillent sur la durée… Petit message perso : si tu gères un lieu chaleureux où il y a de la place pour danser, du matos correct, on veut bien venir jouer chez toi !

Enfin on est souvent invités dans des festivals un peu pointus, organisés par des gens qui sont dans la même scène que nous. L’année 2016 a été riche en rencontres puisque qu’on a pu célébrer les 15 ans du « Precious oldies sound system » à Lille avec la crème des Dj Soul et Early reggae venue d’un peu partout. On a aussi participé au Keep the Face weekender à Belfort et Montbéliard calqué sur les week-ends made in UK avec concerts , run en scooter et allnighters furibards ou encore le génial festival « Rock’n’stock » à Preignan qui arrive à fédérer habitants de ce petit village du Gers et amateurs très pointus venus de toute la France et en plus c’est gratos. On embrasse aussi les potos de Bayonne (Soul experience) et de Paris (Soul Parade Club) qui déploient une grosse énergie pour proposer des événements festifs d’une qualité rare.

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Quel(s) support(s) utilises-tu ?

Nous revendiquons utiliser que du vinyle dont 99 % de 45t .

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Pourquoi ?

Les raisons sont multiples. Dans « Disc-Jockey », il y a disques non ? Bon il y a aussi Jockey et comme le vinyle c’est notre dada… En fait, sur un système correct, le son est bien plus vivant, la dynamique plus « punchy ». Si certains styles amènent naturellement la création à partir d’effets numériques (d’une manière générale toutes les musiques électroniques), les styles que nous diffusons nous sont bruts de décoffrage et on ne s’oblige pas à être des dieux de l’enchaînement millimétré. On ne coupe pas les titres ou très peu, on ne « toaste » pas dessus et on s’autorise de passer du coq à l’âne selon l’humeur et les réactions du public. La multiplication des effets possibles, des innovations sonores de ces dernières années ne nous concerne pas tellement. D’ailleurs on croyait que Serato était le nom d’un vin Italien. Dans un autre style, je peux comprendre que les mecs qui font des prestations dans les mariages arrivent avec énormément de titres pour faire plaisir à Tata Josiane qui veut écouter Joe Dassin, pas de soucis là dessus.

Mais nous, notre objectif c’est de faire découvrir des sous cultures avec leurs sons propres, leur histoire, leur éthique, leur contexte et leur imagerie. Or, ce qui nous fascine c’est les sound systems jamaïcain des années 60/70 ou les mythiques soirées Mods ou Northern Soul du nord de l’Angleterre où les gars élaboraient des stratégies de branques pour chopper le 45t que personne ne connaît… Bref, les sets que nous proposons sont donc le fruit d’heures, voire d’années de recherche dans les vides greniers, les listes et sites spécialisés, d’anecdotes de rencontres et de kilos de nouilles bouffées dés le 15 du mois parce que tu as pété ton budget alimentation pour chopper le son qui défouraille.

Alors, forcément quand des types arrivent de nul part avec une clé USB et des MP3 pourris et qu’ils sont pas capables de te dire quel titre ils passent, c’est un peu facile et c’est pas ce qui te permet de progresser. Heureusement il y a un mouvement de recul de tout ça et certains patron de clubs berlinois ou new yorkais finissent par interdire les Ipods et les ordinateurs, c’est un peu radical mais ça devrait permettre de rehausser le niveau…

Mais plus que ces questions, qui à la limite ne concernent que les acteurs je comprends pas le plaisir en tant qu’opérateur. Où est le fun pour le mec qui sélecte ? Où est la sensualité de manœuvre d’une souris ? Où est la prise de risque si tout est paramétré d’avance ? Comment des mecs arrivent-ils à sortir en nage après avec joué sur une playlist Itunes ? C’est beaucoup plus marrant de te taper le tri dans des kilomètres de disques de Sardou ou de Jean Michel Jarre, dans des cartons défoncés pour au bout de 3 heures, trouver le morceau qui tue et que tu vas partager. En plus, il y a des millions de disques inconnus du grand public qui coûtent que dalle et qui n’attendent qu’à être découverts. En ce moment je tripe complètement sur la scène Rumba Catalane, quand les gitans modernisent le flamenco à coup d’influences Funk, Soul et Psychédélique cherchées aux Etats Unis dans les années 60 et 70. Certains disques, aussi puissants que le meilleur de Curtis Mayfield se trouvent à 2 euros.

Finalement dans le pire des cas, j’ai un peu l’impression que le (petit) monde du Djing est touché par le syndrome du « Loft ». On est dans l’egotrip, il faut briller en soirée, faire la star sans la moindre auto dérision ni talent particulier, on « shazzame » les sets du mec qui passe en « live » pour pomper sa sélection mais on va même pas essayer de discuter, lui payer un coup et d’échanger à la cool.On casse les burnes du mec qui est aux platines pour demander un truc qui n’a rien à voir en donnant des leçons de « ce qui est in ». La dématérialisation des supports m’ennuie parce qu’elle est souvent le corollaire de la dématérialisation des rapports humains.

Après, je crache pas totalement dans la soupe. Autant le téléchargement à outrance a flingué tout le business du disque mais ça a aussi permis à plein de jeunes de se faire des cultures musicales encyclopédiques à peu de frais. Cependant à y regarder de plus prés, les mecs sérieux qui émergent comme djs dans nos scènes, arrivent petit à petit au bon vieux format vinyle…

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Quels sont tes titres incontournables ou fétiches dans tes playlists ?

En fait il y a assez peu de titres qui reviennent, à part quelques classiques, nos sets évoluent continuellement. On ne prépare jamais les soirées à deux et d’ailleurs on improvise selon l’humeur, le lieu, l’ambiance et la thématique. Par contre, on arrive avec beaucoup plus de 45t que nécessaire pour se laisser une certaine souplesse. Mais à la limite on peut te faire un petit top 5 explicatif qui ne serait probablement pas le même la semaine prochaine :

Top 5 (Dj Breizmattazz) :

https://www.youtube.com/watch?v=vcSSuj2TLwk

E.K. Bunch – « Banana » : celui-ci doit être un de ceux qu’on a le plus passé. Morceau blague créé pour le producteur Ed Kassner (le mec derrière The Equals), pour honorer un contrat par The Pyramids, un des premiers groupes reggae établi en Grande Bretagne. Le reggae arrive à peine pour conquérir l’Europe et ce, 3 ans avant l’explosion Marley. Paroles à moitié improvisées par Roy Ellis d’une totale débilité et pourtant irrésistibles, souvent braillé par le noyau dur du public en soirée.

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Screaming Jay Hawkins – « I Put a Spell on You » : version « uptempo » du morceau homonyme. Tiré d’un EP français relativement rare. La folie, le démesure et la sauvagerie d’un tel morceau soulève n’importe quelle foule avinée. En France on a Ben l’Oncle Soul, les boules !

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The Third Degree – « Mercy » : 2008, moment où Saint Tropez Soulful Patrol est en résidence quasi mensuelle au défunt St Ex, pour ses soirées Midnight Shuffle (avec un troisième membre en l’occurrence Tof parti vivre en Catalogne et devenu depuis un des meilleurs DJs Rhythm’n’ blues d’Europe).

Le cadavre de la géniale Amy Winehouse est encore chaud que le show bizz anglais cherche comme tout les six mois « la nouvelle diva de la soul » et bombarde l’insipide « Mercy » d’une certaine Duffy. Gros plan de com’, clip farcis de danseurs Northern Soul pour la « street cred », la ritournelle plate comme une sole meunière sans citron tourne partout. Quelques mois après les Londoniens de 3rd Degree donnent comme il le disent, au titre « le traitement soul qu’il manque à l’original » et sortent un 45t surpuissant qui marque le grand retour de l’emblématique label Acid Jazz. 8 ans après 3rd Degree continue tranquillement son chemin , quand à Duffy ? Aucune idée…

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Alfredito Linares – « Boogaloo Girl » : Bien qu’amateur du son Afro/Cubain de New York , on regarde de plus en plus vers d’autres pays d’Amérique latine. Pas mal de « petits » labels (Soul Jazz à Londres, Wah Wah à Barcelone, Vampi à Madrid ) permettent de découvrir ce qui se faisait au Pérou, au Brésil dans les années 60. Là c’est un tout jeune label Belge (Radio Martiko) qui a ressorti cette merveille « made in argentina ». Le truc parfait pour l’aspirant roi de la piste qui ne maîtrise pas le 3 temps un peu plus rude du Son cubano…

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Rumba Tres – « Rumbita Tru, La, La » : Rumba Catalane, derrière l’hilarante faiblesse des lyrics un subtil crossover Flamenco/ Funk par un trio ultra célèbre de l’autre coté des Pyrénées. La puissance de la rythmique amphétaminée, totalement pompée sur le Shaft in Africa de Johnny Pate, ne peut laisser de marbre l’amateur de breaks.

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Ton ou tes derniers coups de cœur ?

Non, il y en a trop et il faudrait faire un Top 50.

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Bordeaux ça le fait ?

Argh , c’est difficile déjà que je peux paraître un peu « amer » dans mes propos ? Que dire ? Je ne sais pas si c’est parce que j’arrive à un âge où je sors moins mais j’ai tout de même l’impression que plus on dit que Bordeaux sort de sa torpeur -le vieux cliché à la con de – Bordeaux la belle endormie – comme si les années 80/90/2000 avaient été un désert culturel !- moins je trouve qu’il se passe de choses intéressantes. Les places sont de moins en moins nombreuses pour les petits indépendants qui font les choses par passion et dans un certain amateurisme.

Les agences de marketing vendent partout notre ville comme une sorte de ville « innovante » digne de Berlin voire de création au moins équivalente du Manchester de l’Haçienda… Quel type un tant soi peu impliqué peut prendre ce genre d’énormité au sérieux ? Il faut regarder les choses en face, la vie nocturne, le milieu indépendant risque d’y crever à petit feu. Bordeaux est mise au pas pour ne pas déplaire aux contingents de bourges qui viendront gonfler les caisses du secteur vinicole grâce à la ligne L.G.V. Le phénomène n’est pas que local et se passe partout de la même manière. On rachète les apparts de nos derniers quartiers populaires « tellement typiques », une fois installés, on envoie les flics parce que la populace est vivante et donc, bruyante…

Les amateurs de culture un peu « underground » n’ont qu’à se contenter des formidables initiatives de l’économie créative où on reste entre gens de bonne compagnie. Les lieux un peu populaires sont littéralement harcelés par les pouvoirs publics aidés par les associations de riverains, sans aucune représentativité, aux ordres… Ils subissent des injonctions hallucinantes de mise au norme pour se mettre au pli et finalement se bouffent tout de même interdictions, amendes et pénalités qui les flinguent littéralement.

Il suffit de regarder ce qu’ont subis des endroits comme le St Ex, le Booboo’z ou le Bootleg (et il y en a un paquet d’autres). Le pire dans tout ça, c’est qu’au lieu de lâcher un peu la grappe aux concernés, les bureaucrates risquent un sérieux retour de bâtons. Franchement je suis toujours emmerdé de recevoir des non bordelais venus juger la soi disant « effervescence » Bordelaise sur place. Les offres sont de plus en plus rares. Il est quasiment impossible de faire le tour du cadran avant le traditionnel petit déj’ aux huitres/ vin blanc des Capus… Résultat, les gens qui ont pas une thune se bourrent la gueule chez eux, sortent, et ça castagne plus qu’aux grandes heures des Capucins. Laisser les gens se sociabiliser dans des lieux prévus pour cela, les laisser défouler un peu leurs frustrations c’est même plus un enjeu culturel, c’est un impératif sécuritaire…

Quand des potes veulent venir refaire leur vie ici avec une certaine qualité, je leur vend pas du rêve. Entre les loyers qui augmentent à fond, la gentrification/muséification du centre ville et le chômage qui reste fort, il vaut mieux y regarder à deux fois… Et je ne parle même pas des groupes peu connus qui souhaitent faire une étape dans la ville, il faut s’y prendre 6 mois à l’avance. Bordeaux est en train de tirer une balle dans le pied de ses cultures émergentes et je crois que malgré les équipements et les dispositifs existants, la machine finira par tomber en rade…

Bref tout ça ne me dit rien qui vaille mais j’espère me tromper. Ce qui est sûr c’est que des assos comme par exemple Allez les filles, avec un soutien relatif de la mairie, nos petits frères de Vicious Soul, Le VOID, ou quelques autres ont énormément de mérite de continuer à se bouger.

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Un message, une date à annoncer, un coup de gueule, une déclaration d’amour ?

Pas vraiment de dates prévues pour le moment mais on est ouvert à toute proposition un peu partout, tout peu s’envisager, on est pas (trop) chiants. Par contre on cherche un lieu un peu cossu pour mettre en place une résidence et accueillir les collègues d’autres villes et développer les choses à nouveau. L’idéal : de la place pour faire danser, un peu d’intimité et un système son qui ne soit pas un « home cine »… Par ailleurs j’aimerais bien trouver des gens qui taquinent le montage vidéo pour mixer images et ambiances en live, beaucoup font ça dans la scène électro et si certains sont branchés par l’imagerie sixties, série Z et autres délires un peu psychédélique on est preneurs.

Merci pour la discute… Sinon on est joignables ici ou par mail : radiospymarket(at)yahoo.fr

 

3 replies on “ Bordeaux : Too Many DJ’s 5/5 – DJ Breizmattaz (du St Tropez Soulful Patrol) ”
  1. Grande interview camarade ! Keep up the ol’school beat bangin through the night! Respect et bisous…

  2. Mon cher frère, c’est un vrai immense plaisir de vous lire. Par contre vous avez oublié de citer Carlos dans vos influences…

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