La maison d’édition indépendante Le Gospel fête ses deux ans le 25 avril à la Librairie Olympique lors d’une soirée de rencontres et de musique où seront notamment présents l’auteur Thomas E. Florin et le traducteur Alex Ratcharge. Pour l’occasion, rencontre avec son fondateur, Adrien Durand, afin d’en savoir plus sur la création de la maison d’édition, les défis liés à la gestion d’un tel projet et ce qu’il prépare pour les mois à venir.
Crédit photo : Romance Durand
Le Type : Le Gospel fête ses deux ans cette année. Quand tu as lancé la maison d’édition, combien de temps tu te voyais tenir ?
En réalité, le véritable anniversaire du Gospel était en octobre, mais je n’avais pas eu le temps d’organiser d’événements à ce moment-là. Je le fête en décalé ; il s’agit plutôt des deux ans et demi du projet. On a aussi fait un événement à Paris au mois de février dernier. Je voulais monter la maison d’édition l’année de mes 40 ans. C’est un peu ma crise de la quarantaine. J’espère que ça durera longtemps. Et, en même temps, je n’ai pas non plus spécialement la certitude que ça dure. Je ne suis pas trop attaché non plus à ce que les choses soient très sanctifiées. Tant que ça dure, c’est bien.
Je fais seul ce que font certaines maisons d’édition avec 5, 6 ou 10 personnes.
Adrien Durand (Le Gospel)

Quel bilan tires-tu de ces deux années d’expérience de gestion d’une maison d’édition ?
C’est un bilan qui est positif. Il y a forcément des choses qui se sont plus ou moins bien passées. L’écho qu’a rencontré le projet est très positif. Je reçois beaucoup d’encouragements et je n’ai pas l’impression d’avoir pris la place de quelqu’un. C’était l’idée de départ : faire une maison d’édition qui n’existe pas plutôt que d’aller concurrencer les autres. On trouve un lectorat.
À côté, il y a la partie plus négative : entrepreneuriale, économique. C’est la plus difficile parce que même s’il s’agit d’un projet de niche, on a les mêmes exigences que des gens qui font des projets commerciaux. Et, en même temps, aujourd’hui, mis à part des personnes qui m’aident un peu pour les maquettes ou la création des visuels par exemple, je fais seul ce que font certaines maisons d’édition avec 5, 6 ou 10 personnes. C’est très stimulant mais je me sens en même temps submergé par la hauteur de la tâche.
Quand on est indépendant, ce qui est précieux c’est qu’on est totalement libre de nos choix, notamment éditoriaux. Ce qui est plus difficile, c’est que chaque projet met potentiellement en péril l’ensemble de la maison.
Adrien Durand (Le Gospel)


Cette situation est-elle liée au caractère indépendant du projet ? L’édition est un secteur de plus en plus concentré. Pourquoi est-ce important pour toi de maintenir cette indépendance ?
Il y a pas mal de maisons d’édition indépendantes qui ne cherchent pas forcément à se faire racheter par des grands groupes mais qui, au bout de trois, quatre ou cinq ans, constituent un catalogue et sont approchés par ces grosses maisons pour intégrer leur groupe. Dès le début ce n’était pas du tout quelque chose que je cherchais pour Le Gospel.
Quand on est indépendant, ce qui est précieux c’est qu’on est totalement libre de nos choix, notamment éditoriaux. Ce qui est plus difficile, c’est que chaque projet met potentiellement en péril l’ensemble de la maison. Si un livre se plante, ça peut être compliqué à absorber.
Il y a un tissu de maisons indépendantes que je commence à connaître. Nous sommes dans la même démarche, bien que certains soient plus établis. Ces personnes vont pouvoir me conseiller, m’aider. J’ai vécu ça aussi dans la musique : les gens se serrent les coudes. C’est un secteur qui reste difficile car, à la différence de la musique, il n’y a pas trop de « classe moyenne » dans le milieu de l’édition. C’est d’ailleurs de plus en plus à l’image de la société. Il y a des initiatives souterraines, on se bagarre pour faire exister nos livres, textes, magazines. Et puis, de l’autre côté, il y a les grosses maisons, les énormes groupes comme ceux de Bolloré qui sortent 20 à 25 livres par mois.

Avant d’être une maison d’édition, Le Gospel était un fanzine. Quelles sont les principales différences de gestion entre les deux projets ?
Un certain nombre de maisons d’édition sont nées avec le format revue. C’est une bonne école pour apprendre à publier ou à éditer. Plutôt que de travailler sur un texte de 250 pages, on commence par des textes courts, avec plusieurs auteur·ices. Le lectorat est différent. Les revues papier, ce sont souvent des mooks, des objets vendus en librairie qui peuvent vite coûter 20 ou 25 euros. Je vendais Le Gospel à 5 ou 6 euros, le projet se voulait accessible.
Une revue est quelque chose de plus léger qu’un livre. C’est un chantier un peu moins gros, avec plusieurs interlocuteur·ices. Un livre, c’est souvent un duo éditeur-auteur. Quand ça se passe bien, c’est une super aventure. Parfois, c’est plus compliqué parce qu’il y a des histoires d’égo, des désaccords. La relation avec les auteur·ices est donc l’une des différences majeures.
La temporalité est aussi différente. Un livre, quel que soit sa date de sortie, peut être découvert à tout moment. Il arrive que des gens achètent des livres que j’ai publiés il y a deux ans. Les livres continuent de vivre et d’être vendus en librairie. Pour les revues, il y a un effet plus jetable dans la tête des gens. C’est moins sacralisé, c’est plus éphémère.
J’utilise beaucoup l’analogie avec la musique : je vois la maison d’édition comme un label.
Adrien Durand (Le Gospel)
Comment identifies-tu et sélectionnes-tu les livres que vous publiez sur Le Gospel ?
Je fais pas mal de littérature traduite, je suis donc un peu la presse étrangère, notamment anglo-saxonne. Je vais plutôt avoir tendance à chercher des titres qui n’ont pas été traduits et qui sont sortis dans d’autres pays il y a 5, 10 ou 15 ans. Je cherche sur des forums comme Reddit ou sur des comptes de blogueur·euses. Un peu comme pour la musique.
Pour l’instant, je fonctionne beaucoup au coup de cœur, pas au calcul commercial. C’est un peu casse-cou. J’essaye aussi de créer un catalogue, pour que les titres fonctionnent les uns par rapport aux autres, et qu’il y ait une cohérence d’ensemble. J’utilise beaucoup l’analogie avec la musique : je vois la maison d’édition comme un label. Les auteur·ices ne sont pas les mêmes, mais il y a un une cohérence dans la globalité.


On ressent sur Le Gospel un intérêt grandissant pour des œuvres qui abordent des sujets personnels comme la dépression, à l’image du livre de Claire Cronin, Les Écrans sanglants par exemple. D’où vient cette attirance pour ces thématiques et ces récits ?
Ce que j’aime beaucoup dans le fait de sortir des livres, c’est sortir du côté « internet » ou digital des choses. C’est un autre rapport à l’objet avec lequel tu vas passer du temps. Et donc j’aime beaucoup des sujets comme ceux-là, qui sont des partages de vécus, ou des choses très intimes. Je choisis aussi les écrits où il y a une certaine subjectivité, avec une intimité.
J’aime bien les récits à la première personne par exemple. Dès le début de la revue, j’encourageais les auteurs et autrices à écrire leurs articles de cette manière. Cette approche permet de créer un lien, une identification qui est différente : moins jetable et avec une temporalité plus longue. Tu peux t’imprégner d’un texte, tu réfléchis.
Il est vrai que sur des sujets pas faciles, comme ceux des livres de Claire Cronin, c’était difficile. Tout le monde m’avait dit que j’allais me planter avec ce livre. J’ai quand même bien tenu le coup. Et finalement, c’était une bonne surprise. On a fait un deuxième tirage un mois et demi après la sortie. C’est un livre que les gens ont beaucoup aimé, justement parce qu’il a une profondeur un peu cachée.
Je ne veux pas m’enfermer dans une niche.
Adrien Durand (Le Gospel)
Quels sont les projets à venir pour la troisième année de la maison d’édition ?
On va continuer un peu sur les deux formats qu’on fait : le roman et, comme pour Claire Cronin, des textes plus hybrides, entre récits intimes, chroniques, essais culturels. On va augmenter un petit peu la production, car c’est aussi l’occasion de faire connaître la maison à d’autres gens, d’aller chercher d’autres lecteurs et lectrices. Je ne veux pas m’enfermer dans une niche. Il y a aussi notre projet de revue autour du cinéma qu’on a lancé il y a quelques mois, qui s’appelle Amateur·e.


À partir de cet automne, on va faire une collection de livres sur le cinéma : des essais écrits à la première personne sur ce thème. Le premier livre sort en novembre. On organise aussi un ciné-club à l’Utopia, un ciné en plein air cet été à l’IBOAT. Il y a aussi des concerts de temps en temps. On continue à faire des rencontres en librairies, pour aller rencontrer les gens.
L’événement du 25 avril à la librairie Olympique sera convivial, à échelle humaine. Il y aura l’auteur Thomas E. Florin qui a sorti un livre en février dernier qui s’appelle Autodafé, comment les livres ont gâché ma vie. C’est un auteur qui s’interroge sur la raison pour laquelle il s’est forgé un idéal littéraire. Il y aura aussi Alex Ratcharge, un traducteur avec qui je collabore régulièrement et qui a traduit les deux prochains livres du printemps. On organise aussi un petit concert country folk par The Dry County Loner.

Et est-ce que toi en tant qu’auteur tu as des projets d’écriture ?
J’ai un projet de roman qui est bientôt fini. Et un autre projet d’essai sur la musique qui sortira probablement l’année prochaine.
Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite se lancer dans la création d’une maison d’édition ?
Ne pas trop réfléchir ! Il n’y a jamais de bon moment. Il faut y aller pour les bonnes raisons, par exemple ne pas s’imaginer qu’on va devenir riche. C’est mieux d’avoir un projet spécial, de développer la personnalité de son projet. Je pense que ce qui fonctionne avec Le Gospel c’est qu’il y a un truc assez affirmé ; les gens peuvent reconnaître et aimer – ou ne pas aimer -, mais en tout cas ce n’est pas quelque chose de fade. On a besoin de bonnes maisons d’éditions dans la période actuelle pour faire face aux grosses maisons d’éditions, alors lancez-vous !