Rencontre avec Cédric Arnaudet, bordelais auteur du premier volume d’Enquête sur les samples du rap américain. Sa passion pour les samples, ses rencontres avec des rappeurs de renoms, les festivals de rap à Bordeaux : échange avec un témoin de l’évolution du hip hop en France et au-delà.
Crédit photos : Ken Wonyoukhong
En juin dernier, le troisième volume d’Enquête sur les samples du rap français est sorti. L’occasion pour le bordelais Cédric Arnaudet de clôturer cette série de livres, avant d’entamer celle sur les samples du rap américain, qui débute en ce mois d’octobre. L’origine de cette série de livres ? Un compte Instagram appelé Tout Samplement, sur lequel il révèle les origines des instrus d’une quantité impressionnante de morceaux de rap français et américain, et qui affiche aujourd’hui plus 20 000 followers. Face à ce beau petit succès, il a décidé d’en faire des livres.
Un classique de bossa nova samplé par DJ Mehdi pour « Appelle-moi Rohff » de Rohff, Renaud samplé par Marc d’Animalson pour « Pitbull » de Booba, Charles Aznavour samplé par Dr Dre pour son titre « What’s the difference »… Autant d’histoires passionnantes et parfois étonnantes réunies dans des livres qui vulgarisent et valorisent le travail des producteurs et des productrices, souvent cantonnés au rôle d’hommes et de femmes de l’ombre.
Ancien animateur radio et disquaire, Cédric Arnaudet a décidé de les mettre en lumière dans ses livres. Les samples, l’évolution du rap, le festival Hypnotize, Booba, le rap bordelais… Rencontre avec un vrai passionné de hip-hop.
Le Type : Comment est née ta passion pour le sample ?
Cédric Arnaudet : Quand je faisais de la radio et que je recevais les rappeurs en interview, le côté production m’intéressait déjà. Mais c’est quand je suis devenu disquaire que j’ai commencé à m’intéresser aux samples. J’étais au rayon rap, et je discutais pas mal avec ceux qui s’occupaient de la soul, du jazz et du funk. Et ils me disaient souvent que telle ou telle instru venait d’un morceau qu’ils connaissaient.
Les gens me disent que je fais de la transmission, que je raconte une histoire du rap français qui n’existait pas. Mais moi, à la base j’ai fait ça pour le kiff, par pur plaisir.
Cédric Arnaudet
Alors, au moment du Covid, j’ai réuni mes souvenirs et mes notes, et j’ai commencé à poster ça sur Instagram. C’est comme ça que ça a commencé. Aujourd’hui, les gens me disent que je fais de la transmission, que je raconte une histoire du rap français qui n’existait pas. Mais moi, à la base j’ai fait ça pour le kiff, par pur plaisir.
Les instrus d’aujourd’hui sont vachement linéaires.
Cédric Arnaudet

Qu’est-ce que tu penses des instrus d’aujourd’hui ?
Je suis allé à Hypnotize (festival de rap dont la première édition a eu lieu en septembre 2025 à Bordeaux, ndlr). Il y avait plein d’artistes que je ne connaissais pas. Mais pour moi, les instrus d’aujourd’hui sont vachement linéaires. Et elles sont très froides. Il n’y a pas la chaleur, le côté organique qu’il pouvait y avoir avant. Après, j’ai peut-être un discours de vieux con qui approche la cinquantaine…
J’aime pas dire que c’était mieux avant. Je suis parfois très content en entendant les titres de certains nouveaux artistes comme Vald et SCH qui étaient présents au festival par exemple. Mais ce que je trouve dommage, c’est que le rap est devenu principalement festif, que ce soit dans les instrus ou dans les textes. C’est pour ça aussi que tout se ressemble d’ailleurs. Ils répondent à un cahier des charges : des instrus qui tapent, de l’autotune… C’est comme ça.
J’ai été déçu par Booba à Hypnotize (…) Il aurait pu faire au moins un medley de ses anciens morceaux… ça aussi, ça participe au manque de transmission dans le rap.
Cédric Arnaudet
Pour continuer sur le festival, qu’est-ce que t’en as pensé ? C’est quand même rare de voir autant de stars du rap réunies à Bordeaux pendant deux jours…
Le festival était très bien. Bien organisé, bien décoré, le son était bon. Mais il y a quelque chose qui m’a vachement déçu : c’est Booba. J’y suis allé surtout pour le voir. Ça faisait plus de dix ans qu’il n’était pas venu à Bordeaux. C’était un événement. Il a traversé trois générations quand même…
Mais pourquoi il n’a pas fait un seul classique ? Histoire de faire plaisir au public de ses débuts, celui qui l’a soutenu au départ et qui lui a permis d’en être là où il est aujourd’hui ? Si même lui ne fait pas l’effort… Alors ok, dans le public il y avait énormément de jeunes. Mais il aurait pu faire au moins un medley de ses anciens morceaux… ça aussi, ça participe au manque de transmission dans le rap.

Et que penses-tu de l’évolution du rap de manière générale ?
À l’époque, on disait que c’était un effet de mode. 50 ans plus tard, il existe toujours, et c’est devenu le genre musical numéro un en France. La culture hip-hop est partout : dans les voitures, dans les pubs, dans la rue, dans la façon dont parlent les jeunes…
Mais je pense que quelque chose s’est brisé après le premier âge d’or du rap à la fin des années 1990. Dans les années 2000, il y a eu plusieurs rois sans couronne : Nessbeal, Salif… Ils étaient très forts, mais ils ne vendaient pas d’albums. La crise du disque et le piratage sont passés par là.
Mais c’est aussi que les fans de rap ont évolué, grandit, vieillit. Et quand t’as un gamin, tu vas pas lui dire que tu peux pas lui acheter du lait parce que t’as préféré acheter des disques… Naturellement, une partie d’entre eux a arrêté d’écouter du rap. Résultat, il n’y a pas eu de transmission. Il y avait les magazines papiers comme Radikal ou Rap Mag qui pouvaient faire ce travail, mais c’était du jetable. Heureusement, aujourd’hui, les livres ont pris le relais.
Il existe pas mal de comptes qui répertorient les samples. Mais moi je suis allé plus loin en contactant les beatmakers pour qu’ils racontent l’histoire derrière le sample.
Cédric Ardaunet
C’est quoi l’histoire autour d’un sample que tu as le plus aimé écrire ?
J’aime beaucoup celle de Casey avec le titre « Chez moi ». Il y a un sample de Nina Simone qui est ouf, et super dur à trouver. C’était une chanson qu’elle avait écrit juste après l’assassinat de Martin Luther King. C’est super revendicateur. Et dessus, Casey est dingue. Elle y parle de sa Martinique natale, et de l’envers du décors de cette île qui semble paradisiaque.
J’aime bien aussi l’histoire de Djimi Finger pour une chanson d’Ärsenik. Il achète un disque. Pendant qu’il l’écoute, le disque saute pile à un endroit idéal pour faire un sample. Il s’est dit : « Ok, je le prends ». Et c’est devenu un des plus gros titres de la discographie d’Ärsenik.
Il existe pas mal de comptes qui répertorient les samples. Mais moi je suis allé plus loin en contactant les beatmakers pour qu’ils racontent l’histoire derrière le sample.
Quelle est la rencontre qui t’a le plus marqué durant ton travail de recherche ?
J’ai adoré Seth Gueko. C’est un personnage… il m’a régalé. Je l’ai rencontré après le Rest in Zik (festival de rap qui se déroule à Bordeaux, ndlr). Il m’avait envoyé un message en disant qu’il restait quelques jours à Bordeaux, et qu’il fallait qu’on se voit. Il m’a emmené dans sa résidence, où il enregistrait des morceaux. On a passé tout l’après-midi à parler de musique. C’était super cool.
C’est ça aussi que j’ai aimé faire avec ces livres : réussir à faire parler des gens qui ont été importants pour cette musique, mais que l’on ne connaît pas ou très peu, et qui n’ont jamais été interviewés.
Cédric Arnaudet
Vous avez parlé du sample de « Titi Parisien » ?
Pour l’anecdote, c’est un des seuls samples que j’avais jamais vérifié. Pour moi, c’était les Carpenters. Imhotep l’a utilisé pour un morceau de Freeman. Je l’ai posté sur Instagram. J’ai alors reçu un message de la part de Seth Gueko : « T’y es pas barlou, cherche encore » avec un smiley. Il m’a dit de me rapprocher de DJ Sims, qui m’a dit que ça venait d’une librairie musicale.
J’ai fini par le trouver après pas mal de recherches, et je lui ai dit. Il a kiffé, et c’est pour ça qu’il a bien voulu qu’on fasse une interview pour le livre. Je l’aime bien parce que derrière cette apparence de brute épaisse un peu beauf, se cache une vraie intelligence et une grosse culture.
J’ai aussi bien aimé Stofkry, le mec qui a fait les deux premiers albums de Fabe. C’est un gars qui parle à personne. Il ne voulait pas faire d’interview au départ. Et j’ai quand même réussi à le convaincre. C’est ça aussi que j’ai aimé faire avec ces livres : réussir à faire parler des gens qui ont été importants pour cette musique, mais que l’on ne connaît pas ou très peu, et qui n’ont jamais été interviewés.
Les anciens comme lui, ils sont toujours dans le rap ?
Il y en a beaucoup qui ont élargi leur spectre. Un gars comme Médeline, qui avait produit pour Sat de la Fonky Family, qui a fait « Mon son » de Booba, maintenant, il fait de la musique de films ou pour la pub.
Il y a beaucoup de rap à l’ancienne dans tes livres. Mais il y en a aussi des artistes plus récents comme Damso ou PNL.
PNL, que t’aimes ou pas, au niveau de la production, tu ne peux que reconnaître que c’est super travaillé et super recherché. Tu peux être moins fan de la plume. Mais c’est très pointu musicalement.
Damso, je l’ai découvert avec « Macarena ». Je n’avais pas trop aimé. Puis je l’ai revu dans un freestyle. Et là, je me suis dit que c’était un super rappeur. Mais les maisons de disques préfèrent mettre en avant les trucs plus chantés, au détriment du rap. Rien de nouveau : c’est déjà ce que faisait Laurent Bouneau sur Skyrock à l’époque de la FF par exemple.

Les morceaux d’aujourd’hui restent trop standardisés selon toi ?
C’est ce que je dis aux plus jeunes. Quand tu compares la technologie d’il y a 20 ans avec celle d’aujourd’hui, il y a un gouffre… À l’époque, si t’avais un graveur de CD, t’étais le boss du quartier ! Aujourd’hui, c’est beaucoup plus facile de produire de la musique. C’est pour ça que j’ai du mal à comprendre pourquoi la musique n’est pas plus créative. Évidemment, si tu creuses un peu, tu vas trouver. Mais au niveau du mainstream, ça reste super standarisé.
L’un des problèmes qu’a créé l’arrivée d’internet et la baisse du coût de production, c’est l’abondance de propositions. On zappe beaucoup trop facilement d’un artiste à l’autre. À l’époque, on guettait les sorties. C’était toute une aventure pour avoir un album. J’ai déjà vu des mecs en train s’embrouiller chez Discobox parce que le gars de la boutique n’avait pas commandé assez de Jay-Z…
Aujourd’hui, il n’y a plus trop de rivalité rive droite / rive gauche, tout le monde se parle. Et quand on se remémore cette époque, on se dit qu’on était un peu cons : au final, on était tous passionnés par la même chose, on faisait tous partie de la même tribu.
Cédric Arnaudet

Comment on faisait pour découvrir les nouveautés rap à l’époque à Bordeaux ?
Il y avait Strictly (magazin bordelais dédié à la culture hip-hop, ndlr) par exemple. C’était super. Si t’étais DJ ou rappeur, si tu voulais faire connaître ton projet à Bordeaux, il fallait le vendre chez Strictly. C’était un peu l’équivalent de la Scred Boutique aujourd’hui. Il y avait aussi Carlito’s Way.
Mais Bordeaux, c’était pas hip-hop. C’était rock avant tout. Et maintenant c’est électro. Le rap a toujours été en-dessous. C’est pour ça qu’on a jamais eu d’artiste qui a vraiment explosé. La fameuse malédiction du rap bordelais… On a aussi un public qui est extrêmement dur. J’étais étonné qu’il y ait 10 000 personnes à Hypnotize. Après, il n’y avait pas que des Bordelais·es.
Sinon, à l’époque, en termes de salles de concerts, on avait la Soufrière, Barbey, Le C.A.T., le Surcouf, la Médoquine… il y a NTM qui est passé là-bas. C’était quelque chose… Il n’y avait pas d’agent de sécurité à l’époque. Il en aurait peut-être fallu ! J’ai vu des gens ressortir en slip, ou sans basket… Fallait vraiment aimer le rap, et ne pas trop te poser de question (rires).
Aujourd’hui, il n’y a plus trop de rivalité entre la rive droite et la rive gauche, tout le monde se parle. Et quand on se remémore cette époque, on se dit qu’on était un peu cons : au final, on était tous passionnés par la même chose, on faisait tous partie de la même tribu.
Tu as récemment posté des vidéos en lien avec les artistes qui seront présents au prochain Rest in Zik. Tu travailles avec eux ?
Non, j’ai fait ça pour le kiff, pour soutenir le festival. Diez, l’organisateur, c’est un passionné. C’est un gars qui est très bon. Les gens pensent toujours que c’est facile… Ils ne se rendent pas compte de tout ce qu’il doit gérer. Et tout ça, en indépendant, avec son équipe de bénévoles. Ils ont d’ailleurs dû décaler le Rest in Zik à décembre, car Hypnotize se déroulait en même temps. Ils ne pouvaient pas rivaliser, même s’ils ne proposent pas le même genre d’artistes. Je trouve ça ambitieux de parier sur des LIM, Sinik, Triptik et La Brigade. Mais en même temps, il sait qu’il va attirer un public de niche. C’est un passionné, il se fait plaisir. S’il arrive à faire plaisir aux gens, tout le monde est gagnant.
J’ai bien aimé aussi l’idée qu’il fasse venir Cut Killer pour un DJ set cet été. La culture, on en a besoin. Et proposer un événement comme ça, gratuitement, puis cinq euros en fin de soirée, c’est génial. Les gens sont pris à la gorge. Ils ont besoin de respirer, de s’évader, de sourire. Si les politiques comprenaient ça, ils lâcheraient un peu plus de subventions pour la culture.
C’est quoi la suite pour toi ?
J’espère sortir les trois volumes sur le rap US d’ici la fin de l’année. Et après, je partirai sur un livre sur l’électro. J’ai un peu envie de passer à autre chose. Mais rien ne m’empêchera de revenir sur le rap à l’avenir.
Je fais aussi des sortes de spectacles qui s’appellent L’histoire en boucle et qui sont produits par l’association Foksabouge. Je suis avec un DJ qui s’appelle DJ Packo, et je raconte l’évolution de la musique à travers les machines. Ça se passe dans des médiathèques, et je ne parle pas uniquement de rap. J’ai un public assez large : des retraités, comme des gamins de 7/8 ans. La transmission, elle peut aussi se faire par ce genre d’initiative.