Leo Valls du festival Connect : « Bordeaux est une place forte du skate à l’international »

Le festival bordelais Connect, qui célèbre la culture skate et son rapport à l’urbanisme revient cette année du 16 au 19 octobre. Une occasion de se rassembler et de célébrer une culture longtemps incomprise et méprisée mais qui, grâce à l’engagement de figures locales, met aujourd’hui des notions comme le skaturbanisme au cœur des discussions. Rencontre avec Leo Valls, porte-voix du festival et d’un récit sur le skate reconnu à l’international.

Le Type : Le festival international Connect revient cette année pour sa deuxième édition. Peux-tu nous expliquer la genèse de ce projet ?

Leo Valls : Le festival Connect est né de l’idée que le skateboard peut être un vecteur bénéfique pour le développement des villes, en contribuant à aborder des sujets de société importants. On considère que le skateboard est un caméléon, capable de prendre la forme et la couleur qu’on souhaite, à la fois social, culturel et sportif.

Bordeaux est une place forte du skate à l’international.

Leo Valls

Ce projet est aussi né du fait que Bordeaux est une place forte du skate à l’international, avec une histoire et une culture locale très ancrée et unique. Il s’inscrit dans une démarche sur laquelle je travaille depuis huit ans avec d’autres acteurs : le skaturbanisme, qui vise à intégrer les jeux urbains, et le skate aux aménagements et au développement de la ville, à travers des actions de médiation, culturelles et urbanistiques.

Sculpture skateable installé pour le festival Connect. Crédit photo : Clement Vidal.

La première édition du festival est arrivée peu de temps après l’intégration une deuxième fois du skateboard parmi les disciplines officielles aux Jeux olympiques. Ce contexte a-t-il favorisé l’émergence de l’événement et attirer un nouveau public dans la découverte de cette culture ?

Non, pas du tout. Dans le skate, il y a vraiment deux courants : un courant compétitif, que les J.O représentent bien, et un autre, beaucoup plus libre et artistique, qui correspond à l’essence même du skate. C’est un jeu de rue basé sur l’exploration de la ville. C’est une question de style, de créativité, d’adaptation. Tout ça en fait une pratique unique.

Malheureusement, on ne retrouve pas cet aspect dans les Jeux olympiques. Le skate y est présenté uniquement comme un sport, jamais comme une pratique socio-culturelle. Pour donner un exemple problématique ; lors des JO de Tokyo, le gouvernement a construit des skateparks aux normes olympiques, mais en contrepartie, le skate de rue a été davantage interdit. Le gouvernement s’est dit : « On est légitimes d’interdire le skate dans la rue étant donné qu’on a fabriqué des terrains de sport. » La réalité du terrain de la pratique du skate c’est que la grande majorité des skateurs font du skate dans la rue.

Personnellement, je n’ai rien contre la compétition, les JO, c’est complémentaire. Mais c’est justement pour ça qu’un événement comme Connect est important pour parler des autres dimensions du skate et de ses valeurs.

Pour dresser un bilan de la première édition, comment le public, les passionné·es et les professionnel·les ont-ils perçu l’événement ?

On a été subjugués par les retours. On a eu la visite de skateur·euses, d’architectes, de sociologues, de chercheur·euses, d’urbanistes, de collectivités, venu·es de plus de 16 pays. Le festival a vraiment eu une aura internationale.

On a compté à peu près 3 800 visiteurs à la Cour Mably pendant les quatre jours de l’événement. Franchement, le festival a été ultra bien accueilli, avec énormément de communication autour également. Donc on est très contents. Après, on cherche toujours à s’améliorer et à pousser le projet le mieux possible. Et c’est ce qu’on essaie de faire avec cette deuxième édition.

Le skate est une pratique basée sur l’adaptation, elle est donc assez imprévisible.

Leo Valls
Leo Valls, Scuplture Connect. Crédit photo : Dave Manaud

Parmi les activités proposées lors de la première édition, y en a-t-il qui ont créé des temps forts ?

Dans la première édition, évidemment, le temps fort, ça a été l’installation des sculptures skateables en impression 3D béton, sur plusieurs sites iconiques de la ville qui formait un vrai parcours.

Ensuite, on a eu des conférences avec des activistes, des ONG internationales, qui ont une approche sociale du skate. Il y a aussi eu des soirées, des concerts, des expositions. Et on a terminé par une descente géante de la rue Sainte-Catherine, qui a vraiment été un super moment. Les gens ont complètement apprivoisé l’événement, exactement comme on l’avait imaginé.

Et ce qui est génial avec le skate, c’est que c’est une pratique basée sur l’adaptation, et donc assez imprévisible. On s’est retrouvés avec des équipes de skateurs venues du Japon, d’Australie, du Brésil qui se retrouvaient à Bordeaux pour partager des sessions, profiter des expos, des conférences, des soirées à la Cour Mably.

Concernant la programmation de cette année, quels seront les principaux changements ?

Cette année, on a imaginé 10 conférences internationales autour des grands sujets de société que le skate aborde. On organise aussi des expositions collectives, plusieurs soirées, et une expo de sculptures skateables autour de la question du réemploi.

Matheus Du Bronks. Crédit photo : Dave Manaud

La grande nouveauté, c’est le tout premier workshop académique autour du skateboard. On collabore avec l’ESSCA et des chercheurs en management public pour créer un workshop scientifique international. Par exemple, une chercheuse australienne qui étudie le genre à travers le skate, un chercheur californien sur le racisme, ou encore une chercheuse anglaise sur la manière dont les skateurs font des images. Ce workshop va vraiment permettre d’élever le débat, avec des chercheurs, des PhD présenteront leurs travaux.

L’idée du workshop comme nouveauté émane-t-elle d’une demande particulière de la part des chercheurs ?

Le workshop est né d’une rencontre avec deux chercheurs français, Jean-Sébastien Lacam et Juliette Evon. Ces dernières années, ils ont mené une recherche intitulée Skaturbanisme et théorie des paradoxes.

Cette étude explore comment la démarche d’intégration du skate à la ville, que nous portons à Bordeaux depuis des années, a modifié les politiques publiques. Comment paradoxalement, une pratique comme le skate qui pourrait sembler nuisible, peut se révéler bénéfique pour le développement de la vie.     

Le duo a présenté cette recherche lors de la première édition de Connect. Et étant donné que ça a été un succès et qu’on s’est très bien entendus, ils nous ont proposé de nous accompagner sur l’organisation d’un workshop académique plus conséquent pour la deuxième édition.

Nils Inne. Crédit photo : Dave Manaud

Quel est ton degré d’implication dans ce projet et quelles responsabilités y assumes-tu ?

Je travaille depuis des années sur l’intégration du skateboard dans l’espace urbain. Après le projet mené à Bordeaux, des associations du monde entier nous ont contactés pour comprendre comment adapter cette démarche à leur contexte local.

Ce qui est intéressant, c’est qu’on ne peut pas faire de copier-coller de cette démarche, parce que c’est quelque chose qui doit s’adapter au contexte culturel, social, au contexte skate, au contexte architectural, politique de chaque ville. D’où l’idée d’un événement pour rassembler tous ceux qui s’y intéressent, célébrer la culture skate, et surtout repartir avec des pistes concrètes pour agir localement.

Je m’occupe de la programmation et de la communication, je travaille avec l’association City Skate Collective et Julien Januszkiewicz, skate-filmeur et président de l’asso. On bosse aussi avec Côte Ouest, une grosse agence événementielle bordelaise, et avec qui c’est assez fantastique de travailler parce qu’ils ont vraiment une force de production qui nous permet de monter un événement.

Le but de Connect, c’est de continuer à travers la pratique du skate, de rassembler les gens et de faire en sorte que les gens se retrouvent.

Leo Valls
Festival Connect. Crédit photo : Gregoire Grange.

As-tu constaté un impact de vos actions en matière d’inclusion et de skaturbanisme sur l’aménagement ou la perception de l’espace public à Bordeaux ?

Complètement, on a modifié le design et les usages de certains espaces. Je pense que le skaturbanisme a permis déjà localement de redonner vie à certains espaces publics et de parfois rendre certains espaces aussi plus sûrs. D’avoir une réflexion sur comment on peut penser la ville de demain. Et aussi de recontextualiser le skate comme une culture, une pratique socio-culturelle, en organisant des événements, des expositions de sculptures skateables, en travaillant avec les acteurs locaux, les musées de la ville, pour réaliser des expositions et aussi rassembler.

Et je pense que tout le but de Connect, c’est de continuer à travers la pratique du skate, de rassembler les gens et de faire en sorte que les gens se retrouvent, passent du temps dehors et profitent de l’espace public.

Ce qui est intéressant avec l’histoire de cette démarche à Bordeaux, c’est qu’elle est née d’un conflit. Le skate a été interdit ici pendant de nombreuses années.

Leo Valls

Est-ce que tout cela naît dans un contexte politique particulier ?

Tout ce qui est intéressant avec l’histoire de cette démarche à Bordeaux, c’est qu’elle est née d’un conflit. On vient d’une problématique où le skate a été interdit pendant de nombreuses années. À partir du moment où la ville a construit un skatepark à la fin des années 1990, elle s’est sentie légitime pour interdire le skate. Donc on se retrouve avec des panneaux interdisant le skate un peu partout dans la ville et certain·es riverain·es qui se plaignaient du bruit.

Il y avait une espèce de chasse aux sorcières, on se faisait pourchasser par la police. Ça arrivait à un point où on s’est dit qu’il fallait qu’on fasse quelque chose et donc on s’est constitué en collectif pour pouvoir reprendre notre place dans la ville. C’est passé par la médiation et donc d’accepter ensemble des règles de partage.

On a aussi été soutenus par des lieux culturels comme arc en rêve, le centre d’architecture, qui a mis en valeur notre travail via une exposition. De ces réflexions est née la démarche de « skate urbanisme », puis le Guide du skate bordelais, qui officialise cette approche.

Ce qui est fort, c’est le renversement qui s’est opéré : d’une pratique longtemps perçue comme conflictuelle, voire punie, on est passé à un accompagnement positif, bénéfique pour les skateurs, mais aussi pour la ville et la vie urbaine en général.

Charles Myatt et Philly Halton. Crédit photo : Dave Manaud

Selon toi, quels sont les aspects qui mériteraient encore des améliorations pour faire évoluer cette dynamique ?

Je pense qu’il y a plein de sujets traités à travers la pratique du skate, et c’est ce qu’on essaye de traiter à travers le festival Connect, mais je pense que la question du genre et de la parité sont des questions qui doivent être accompagnées.

Avoir une réflexion sur les questions de réemploi à travers le skate, ça me semble intéressant et puis continuer à développer cette démarche dans cet esprit de partage. Je pense qu’aujourd’hui ce qui est chouette, c’est de voir que ce qui a été mis en place à Bordeaux, ça résonne ailleurs.

Là, on fait l’ouverture d’une nouvelle place publique skateable à Mios, qui est une ville à côté de Bordeaux. C’est une place publique, mais où tout le mobilier est calibré pour la glisse urbaine. Je pense qu’il faut continuer à pousser cette démarche.

Comment imagines-tu l’évolution de cet événement pour ses prochaines éditions?

L’idée, c’est aussi de faire voyager le projet. L’événement reste profondément bordelais dans son ADN, mais sa portée internationale nous pousse à réfléchir : où et comment pourrait-on aider d’autres communautés ? Pourquoi pas imaginer une capsule Connect à Tokyo ou ailleurs, tant que ça contribue à l’appropriation de l’espace public par les communautés locales et au développement de leur culture, dans un esprit positif et collectif.