Entretien avec Félix Blume, artiste sonore utilisant le son comme outil de dialogue. Le samedi 27 septembre, il propose à Bordeaux une installation dans le cadre de la Nuit Verte de la biennale Panoramas à Lormont. L’occasion d’échanger avec lui et de mieux comprendre sa vision de qui se joue derrière la pratique de l’écoute.
Crédit photo de couverture : Faruk Bicici
Originaire de Narbonne et titulaire d’une formation d’ingénierie du son pour le cinéma, Félix Blume se plonge dans les pratiques sonores à travers la prise de son pour du documentaire, des reportages, des films ou de la radio. Avec sa casquette d’ingénieur et de preneur de son, il se met à capter des sons, à voyager, notamment dans des régions isolées.
Ces sons servent d’abord à des tournages, lui permettant de se constituer une large bibliothèque sonore personnelle qu’il va partager sur la plateforme Free Sound qui fêtera ses 20 ans en octobre 2025. C’est là qu’il se rend compte qu’il n’est pas le seul à apprécier ces enregistrements de terrain. Il découvre et s’ouvre alors une communauté de praticien·nes passionné·es du field recording.
Croisant les approches, Félix Blume mêle au fil de ses projets des expositions, des installations sonores, des dispositifs interactifs, notamment dans l’espace public ou en pleine nature. C’est précisément sa contribution dans le cadre de la 7ème édition de la biennale Nuit Verte dans le parc de L’Ermitage de Lormont le samedi 27 prochain. On a profité de cette participation pour échanger avec lui et mieux comprendre les contours de sa pratique.

Cet entretien est à découvrir sur Le Type ainsi que dans le cadre de la newsletter de Slikke à partir du jeudi 25 septembre, Le chant des pinèdes.
Le Type / Slikke : Tu participes le samedi 27 septembre à la Nuit Verte de la biennale Panoramas à Lormont où tu proposes une installation inspirée d’une œuvre déjà réalisée, Lluvias de Mayo. Peux-tu expliquer le contexte et le concept de celle-ci ?
Félix Blume : Au Mexique, dans un petit village, j’avais cette envie qu’un arbre devienne un lieu de rassemblement et d’écoute, comme sous le marronnier de mon adolescence. Pendant une résidence de 3-4 mois, avec l’aide des habitant·es, j’ai donc créé une installation sonore autour d’un arbre central.
De petites gouttes d’eau tombaient depuis des fruits imaginaires sur des tambours métalliques faits de bols renversés posés sur des récipients en céramique noire mexicaine. Il y avait 39 bols, représentant les 39 années de vie de l’arbre en 2020. Chaque bol portait une mémoire : parfois un événement collectif (un tremblement de terre, une inondation), parfois un souvenir individuel (un accident, un voyage…).
L’écoute de ces gouttes créait une mélodie aléatoire, une musique du temps et de la mémoire. Tout un projet collectif s’est construit autour de ça : nettoyage de l’église, projection de photos, réalisation d’un livre. Malgré le Covid qui a limité la diffusion, l’installation au niveau local a rassemblé tout le village pendant une dizaine de jours.

Comment le projet a-t-il été réinterprété à Bordeaux pour la Nuit Verte de Panoramas qui aura lieu le samedi 27 septembre ?
À Bordeaux, avec l’équipe de Panoramas, on a repris l’idée de base – un arbre, des gouttes, une musique aléatoire – mais on a tout repensé. Une grande différence réside dans la durée du projet ; à Bordeaux l’installation est proposée sur une seule nuit, bien que le temps de préparation ait été long.
Cette fois, les gouttes proviennent non pas de tuyaux, mais de sphères de glace éclairées de l’intérieur par des LEDs. Au fur et à mesure de la fonte, elles laissent tomber leurs gouttes sur les tambours. Quand la glace disparait, l’installation redevient silencieuse.
Au sol, au lieu des céramiques mexicaines, nous avons travaillé avec de l’osier, grâce à des collaborations avec des collectifs locaux. L’installation a ainsi trouvé une forme plus organique, adaptée au parc de l’Ermitage à Lormont. Nous avons choisi un poirier comme arbre central, en s’interrogeant sur son histoire, sans vraiment la trouver entièrement, mais avec l’envie que cet arbre devienne un point de rassemblement et d’écoute de cet être vivant.
Pour les installations sonores, j’aime avoir un cadre, des contraintes de territoire, de temps, de contexte : cela cadre la création.
Félix Blume

Comment naissent ce type de projets que tu mènes, notamment ceux qui investissent l’espace public ?
Souvent à travers des résidences ou des invitations. Pour les installations sonores, j’aime avoir un cadre, des contraintes de territoire, de temps, de contexte : cela cadre la création. Parfois, c’est un lieu traversé lors d’un tournage qui me marque et où je reviens des années plus tard.
J’essaie d’y arriver “vierge”, sans trop me documenter, pour écouter avec mes propres oreilles plutôt qu’à travers les récits d’autres. Les formes surgissent ensuite : film, pièce sonore, installation.
Tes projets impliquent souvent un lien avec les communautés locales de l’endroit où tes œuvres vont s’ancrer. Comment les impliques-tu dans ton processus de travail ?
Le micro est un prétexte à la rencontre. Dans mes projets, il m’arrive souvent de demander aux habitant·es quels sons sont importants pour eux, lesquels font partie de leur identité, lesquels au contraire sont vécus comme une pollution.
Cette curiosité est au cœur de ma démarche. Et parfois, le projet devient le leur. Comme au Mexique avec Lluvias de Mayo : au départ, l’arbre devait être coupé. À la fin, il a été sauvé, la place rénovée, l’installation prolongée à la demande des habitant·es directement.
L’écoute réveille l’imaginaire.
Félix Blume

Comment envisages-tu le rôle de tes installations ? Les considères-tu comme des outils de sensibilisation ?
Je ne cherche pas à faire passer un message clair et engagé à travers elles. Plutôt à inviter à écouter. L’écoute réveille l’imaginaire, qui est subjectif, personnel, lié à notre vécu. C’est comme un livre : chacun imagine le personnage à sa façon.
Avec le son, chacun·e compose son monde. Si mes projets peuvent éveiller cette curiosité, cette conscience des choses menacées ou oubliées, c’est déjà beaucoup.
En parcourant ton site Internet, on peut découvrir des exercices d’écoute. Peux-tu nous en dire un mot ?
C’est une manière de transmettre. J’enseigne dans des écoles de cinéma, des formations professionnelles, et je commence toujours par des exercices à “oreilles nues”, sans matériel. L’idée, c’est de prendre conscience de ce sens qu’on utilise peu.
Parce qu’au fond, ouvrir sa fenêtre et écouter, c’est déjà un geste politique.
Félix Blume
On ne peut pas fermer les oreilles, mais on choisit rarement d’écouter vraiment. Ces exercices sont une manière simple de s’arrêter, d’écouter, et peut-être de changer un peu notre rapport au monde. Parce qu’au fond, ouvrir sa fenêtre et écouter, c’est déjà un geste politique.