À Bordeaux et dans la métropole, plusieurs musées réinventent leur rapport aux jeunes publics. À travers des dispositifs, des événements, des espaces dédiés, des activités ou des actions de méditations, ces institutions culturelles partent à la conquête de nouvelles audiences, et des citoyen·nes de demain. Tour d’horizon d’initiatives mises en place par quatre d’entre eux (le CAPC, MusBA, le musée de la Création Franche et le Muséum Sciences et Nature) à destination des enfants.
Crédit photo de couverture : Pierre Planche
À Bordeaux, le musée des Beaux-Arts de Bordeaux (MusBA) propose depuis cet été et jusqu’au 3 novembre l’exposition Sage comme une image ?, qui interroge la représentation de l’enfance entre les XVIIIe et XIXe siècles. Au-delà de son intérêt artistique, cette initiative illustre une tendance plus large. Celle d’institutions muséales (du musée de la Création Franche au CAPC en passant par le MusBA ou le Muséum Sciences et Nature de Bordeaux) qui repensent en profondeur leur rapport au jeune public.
On sait bien que les enfants ne vont pas lire ces pavés.
Sarah Choux (médiatrice culturelle du Musée des Beaux-Arts de Bordeaux)

Regards juvéniles
C’est à l’occasion du tout premier vernissage junior organisé par le musée des Beaux-Arts de Bordeaux que l’on retrouve une petite armée d’enfants (âgé·es de 7 à 15 ans) parti·es à la découverte d’œuvres retraçant les vies menées par de lointains ancêtres. Leurs yeux bondissent et interprètent. Pendant ce temps, leurs aînés, eux, plongent le nez dans la lecture appliquée des cartels. « C’est bon, tu as bien tout lu ? » demande une mère. « Non, je lis pas ! » rétorque l’enfant, déjà happé par l’œuvre suivante.
« On sait bien que les enfants ne vont pas lire ces pavés », sourit Sarah Choux, médiatrice culturelle du Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. C’est pourquoi un parcours alternatif a été imaginé. Avec, au total, une douzaine de cartels pour des enfants lecteurs ou lectrices. Pas de narration linéaire ici. Plutôt des anecdotes sur les œuvres, la plupart étant des tableaux de grand format.


Approche spontanée et libérée
À l’opposé, le musée de la Création Franche, à Bègles, fait le choix radical de ne pas accompagner ses œuvres d’explication. Composée d’œuvres réalisées par des artistes qui n’ont pas de parcours académique ou qui s’en sont éloignés, sa collection offre aux enfants un rapport désacralisé à l’art. Ici, les codes de l’institution s’effacent au profit d’une approche spontanée et libérée.
À la Galerie des Beaux-Arts, durant l’exposition Sage comme une image, les enfants circulent librement entre les différentes thématiques, de l’enfant orphelin au portrait bourgeois. Si les visages peints semblent parfois figés et froids au niveau des émotions, les jeunes visiteurs et visiteuses, eux, s’approprient l’espace : coin déguisement, ateliers d’origami, espace lecture… Une accompagnatrice glisse avec un sourire : « À la différence d’aujourd’hui, l’enfant est roi. »
Ainsi, les jeunes visiteurs vivent l’expérience à leur manière. « On se dispute en même temps » s’amuse un groupe de filles. Quant aux parents, ils observent avec intérêt : « C’est varié, et c’est une question qu’on a abordée hier sur l’engagement des enfants, c’est assez complet. »

À la recherche de sensations
En s’éloignant de ces deux musées, on découvre que cette dynamique s’étend également au sein d’autres institutions. Non loin du Jardin Public, le CAPC, musée d’art contemporain de Bordeaux, s’engage activement auprès du jeune public. Depuis 2022, il développe une programmation riche et régulière : Kids CAPC. Ateliers pour les tout-petits (dès 20 mois), activités pour les adolescents : chaque âge y trouve son espace.
À partir du 20 septembre 2025, la structure rajeunira encore avec l’ouverture d’une galerie permanente dédiée aux enfants, le Cool Kids Space. Son installation immersive a été confiée à un artiste invité : Mathis Collins. Le Muséum Sciences et Nature, voisin du CAPC, a quant à lui ouvert la voie dès 2005 avec Tous les bébés, conçu pour les moins de 6 ans. À hauteur d’enfant, cette exposition fait dialoguer l’humain et l’animal, en interrogeant la naissance et les dissemblances. Les enfants y activent leurs cinq sens, tandis que les adultes redécouvrent à travers leurs enfants la richesse de ces expériences partagées.

Quand le musée vient à l’enfant
Le Musée de la Création Franche à Bègles se trouve actuellement dans une situation singulière : en travaux depuis 2024, il prévoit de rouvrir ses portes en 2026. Cette période de transition, bien que contraignante, est aussi perçue comme une opportunité pour repenser sa relation avec les publics en termes d’accessibilité. Privé de ses murs, le musée n’a pas pour autant cessé d’exister, il a choisi de se déplacer et de partir à leur rencontre.
S’ils ne s’y sentent pas à l’aise, ils ne se sentiront pas légitimes à y aller après.
Émilie Hervé (chargée de médiation et de documentation au sein du musée de la Création Franche à Bègles)
Cette démarche avait été amorcée dès la période post-Covid, dans un contexte où la fracture entre lieux publics et privés s’est fait ressentir. Depuis, elle se consolide à travers un dispositif : des interventions en milieu scolaire, où des œuvres issues des collections permanentes sont présentées aux enfants, accompagnées d’ateliers d’écriture et de médiation.
Un objectif double donc : désacraliser l’institution muséale d’un côté. De l’autre, instaurer une forme de familiarité qui favorise une future visite, en toute légitimité. C’est ce que souligne Émilie Hervé, chargée de médiation et de documentation au sein du musée basé de Bègles : « S’ils ne s’y sentent pas à l’aise, ils ne se sentiront pas légitimes à y aller après. »