Paul Peinture, l’art de « mettre en avant les gens qu’on a tendance à cacher »

Portrait de l’artiste bordelais Paul Peinture, peintre qui œuvre à travers son travail à façonner un paysage culturel plus solidaire et inclusif à l’endroit des personnes en situation de handicap. Au fil de ses projets, il milite pour une meilleure reconnaissance de celles et ceux « qu’on a tendance à cacher ou oublier ». Et entend contribuer à faire évoluer le regard que pose la société sur ces dernier·es.

Cet article s’inscrit dans le cadre de la série d’articles Focus : Culture & handicap. La série a été rendue possible grâce au soutien du dispositif Adaptathon.

À Bordeaux, Paul Peinture s’est bâti une réputation d’artiste engagé, pour qui la peinture dépasse largement le cadre de la toile pour devenir un vecteur de lien social et d’inclusion. Ancien graffeur devenu peintre professionnel en 2010, son parcours témoigne d’une évolution vers une pratique artistique plus humaine, ancré dans les problématiques de l’époque. 

Paul Peinture explique que le déclencheur de son engagement dans des projets « Culture & Santé » a été une prise de conscience progressive, nourrie par ses expériences passées. « Je travaillais en binôme et je faisais beaucoup de fresques murales. Je me suis rendu compte que beaucoup de choses se passaient dans les discussions, la vie… Et j’ai eu la chance de travailler partout. »

Quand on se dit que la société est représentée par des gens, il faut aller partout, pour se rendre compte des difficultés que rencontre les personnes en situation de handicap.

Paul Peinture

C’est la confrontation avec la maladie dans son entourage qui a fait naître chez lui une question fondamentale : pourquoi l’art ne serait-il pas présent dans des espaces comme les établissements de santé ? Pour lui, l’art est avant tout une « belle manière de passer le temps et de le rendre plus doux et créatif. » Aujourd’hui, son objectif est clair : chercher à « mettre en avant les gens qu’on a tendance à cacher ». Celles et ceux qui sont souvent associé·es à des thématiques taboues ou à qui l’on ne donne pas suffisamment de place ou simplement la parole.

Le handicap : une question de regard et de normalité

Paul Peinture aborde la question du handicap avec simplicité, loin de toute stratégie ou communication. « Quand on se dit que la société est représentée par des gens, il faut aller partout, pour se rendre compte des difficultés que rencontre les personnes handicapés. » explique-t-il.

Lors d’un projet, Paul Peinture a amené plusieurs personnes en situation de handicap à parler de leur aventure commune sur Radio Campus Bordeaux. Une prise de parole l’a particulièrement marqué. Un participant glisse à fin de l’émission : « Avant d’être handicapé, je suis drôle. » Cette phrase illustre parfaitement le fond de sa pensée : « Souvent, on dit qu’une personne est en situation de handicap avant tout. On la catalogue. » De là, Paul Peinture aspire à un monde où personne n’est réduit à sa condition.

Arrêtons de mettre les gens dans des cases.

Paul Peinture

Pas de frontières : des liens

Interrogé sur les interactions entre l’art, le soin et le lien social, Paul Peinture répond sans hésitation : « Il ne faut pas y réfléchir par le prisme des frontières. Les frontières ne sont pas bonnes. » Il insiste à nouveau alors sur la nécessité d’arrêter de « mettre les gens dans des cases » pour que la société aille mieux. Cette philosophie guide chacun de ses projets. L’art y devient un catalyseur de rencontres et vecteur d’échanges.

Le projet Lueurs d’Espoir, qu’il mène avec des personnes cérébrolésées dans un Centre d’Accueil de Jour (CAJ) de l’association AFTC Gironde (Association des Familles de Traumatisés Crâniens et Cérébrolésés), est emblématique de son approche. « Mon amie est éducatrice, et ça faisait longtemps que nous avions envie de travailler ensemble » explique-t-il. L’idée était de proposer des ateliers pour celles et ceux « qui sont né·es valides et ont eu un accident, » avec pour objectif de « laisser une trace et se poser des questions par le biais de l’art. »

Impliquer des personnes concernées

Il se souvient d’un moment particulièrement émouvant : « Dans la même semaine, je suis venu plusieurs fois et personne ne se rappelait de moi. » Grâce au processus créatif, les participant·es ont pu trouver un moyen d’expression. « En étant artiste il n’y a plus d’égo, on veut juste créer sans filtre. Maintenant, tout le monde se rappelle de moi. » Ce projet a même donné naissance à un concept de « petit musée du CAJ », financé par le département avec l’appel à projet L’un est l’autre. Cette aventure questionne l’accessibilité des musées en impliquant directement les personnes concernées et surtout créer des œuvres, vivre des moments, parler de ce qui nous rassemble plutôt que de toujours montrer du doigt nos différences. Une exposition verra le jour en octobre 2026.

L’art casse la barrière qu’on se met, ça rassemble énormément.

Paul Peinture

Le lien avec les participant·es se construit sur le temps et grâce à l’authenticité : « Prendre le temps, créer, discuter, j’adore les moments de vie : prendre le café le matin, manger ensemble… » Des ateliers en extérieur, où les participant·es étaient invité·es à peindre dans la rue et à réaliser des questionnaires, ont permis d’inverser les rôles, faisant d’eux des artistes à part entière. « C’est intéressant l’art : tout le monde a des choses à apprendre. Certaines personnes en situation de handicap vont apprendre à d’autres qui ne le sont pas… L’art casse la barrière qu’on se met, ça rassemble énormément. »

« L’art fait bouger les choses »

Quant aux effets observés chez les participant·es, Paul Peinture, avec humilité, indique : « En tant qu’artiste, je ne suis pas la bonne personne pour dire ça, mais l’art fait bouger les choses chez tout le monde, quel qu’il soit. » La réaction du public face aux œuvres est secondaire pour lui ; c’est le processus créatif qui prime. « Plus sur la création que sur le résultat, l’envie de créer, passer du temps, continuer l’exploration plutôt que d’attendre un jugement. »

Faites de l’art avec tout le monde (…). Ne prenez pas de décisions sans connaître le public. Les personnes concernées sont toujours les meilleures pour donner leur avis sur un sujet qui rythme leur vie et leur quotidien.

Paul Peinture

Paul Peinture est catégorique sur l’accessibilité de la culture pour les personnes en situation de handicap : « Ça ne bouge pas assez, mais seules les personnes en situation de handicap peuvent répondre à ces questions. » Son message aux institutions culturelles et aux politiques publiques est direct et clair : « Faites de l’art avec tout le monde, faites autant que nous, on essaye de faire beaucoup. Ne prenez pas de décisions sans connaître le public. Les personnes concernées sont toujours les meilleures pour donner leur avis sur un sujet qui rythme leur vie et leur quotidien. »