Éducation avec Gaza 33 : « Amplifier les voix palestiniennes invisibilisées »

Entretien avec l’association bordelaise Éducation avec Gaza 33 à l’occasion de l’événement « 12h sous le signe de la Palestine ». Organisées au Rocher de Palmer les 3 et 4 octobre prochains, ces deux journées dédiées à la culture palestinienne sont l’occasion de découvrir des artistes et œuvres peu visibilisées dans le contexte du génocide en cours à Gaza.

Le Type : Comment avez-vous programmé l’événement « 12h sous le signe de la Palestine » au Rocher de Palmer les 3 et 4 octobre prochain. Que pourra-t-on y découvrir ?

Éducation avec Gaza 33 : C’est la deuxième édition de cet événement qui s’était tenu le 14 septembre 2024 au Rocher de Palmer – lieu que nous tenons à remercier pour son soutien. L’objectif de cet événement est de mettre à l’honneur la culture palestinienne à l’heure où le génocide à Gaza et la colonisation en Cisjordanie visent à l’effacer en éradiquant le peuple palestinien. Nous donnons donc la parole à des Palestiniens et Palestiniennes, vivant à Bordeaux, ailleurs en France ou récemment réfugié·es, qui nous feront découvrir différentes facettes de cette culture.

Cet événement s’ouvre le vendredi 3 octobre par un concert en salle 650, dont les places peuvent être réservées via Helloasso. Vous y entendrez de la poésie palestinienne avec des lectures en musique du poète Anas Alaili, du rap palestinien par Majdal et des musiques et chants de Palestine par Ahmad Dari et l’orchestre arabe d’Aquitaine, dirigé par le musicien palestinien Nawras Ibrahim.

Cet événement se poursuit toute la journée du samedi 4 octobre de 10h30 à 19h30. L’entrée est libre et les coursives du Rocher accueilleront des expositions, une librairie et des tables d’associations. Un repas palestinien sera proposé uniquement sur réservation. Des ateliers gratuits mais aux places limitées – à réserver aussi sur Helloasso – permettront de pratiquer la dabkeh, danse palestinienne, avec la troupe Whadeh.w.noss, les percussions avec Sameh Abulila, musicien de Gaza, la calligraphie avec Ahmad Dari, ou la broderie palestinienne, ainsi que de fabriquer des cerfs-volants.

À 14h00, la projection du film Emwas de Dima Abu Ghoush, née dans ce village palestinien détruit en 1967, sera suivie d’un débat avec Sami Zarour, lui-même réalisateur du court-métrage The Pipe et artiste plasticien. Nous accueillerons ensuite le poète Anas Alaili, dont le dernier recueil Danser d’une seule jambe a été publié en mai 2025, ainsi que le peintre de Gaza, Raed Issa, pour une table ronde sur « l’art en temps de génocide ». La journée se clôturera en musique.

Toutes nos initiatives visent à amplifier les voix palestiniennes invisibilisées.

Éducation avec Gaza 33

Quelles ont été les principales actions menées par votre association, Éducation avec Gaza 33, depuis le lancement de l’association ?

Les activités de l’association se sont lancées en janvier 2024, pour répondre à l’appel du GUPT (General Union of Palestinian Teachers), le syndicat des enseignant·es de Palestine, qui appelait à la solidarité face à la destruction du système éducatif à Gaza. Nous avons donc participé à des manifestations, organisé des rassemblements, mais aussi des rencontres avec des enseignant·es de Palestine autour de cet « educide » ou « scholasticide », c’est-à-dire cette destruction méthodique et délibérée du système éducatif à Gaza mais aussi en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est occupée, destruction qui est révélatrice de l’intention génocidaire puisqu’elle vise à priver un peuple à la fois de son passé (de son histoire, de sa culture, de sa mémoire, de son patrimoine), mais aussi de son futur. 

Nous avons aussi organisé des événements visant à contrecarrer le narratif israélien dominant autour de la Nakba ou sur les notions de féminisme et de Palestine. Toutes nos initiatives visent à amplifier les voix palestiniennes invisibilisées, que ce soit celles de nos collègues en Palestine ou celles d’artistes. C’est pourquoi vous trouverez des auteurs et autrices palestinien·nes sur notre table librairie.

C’est pourquoi nous avons aussi proposé des projections de films, notamment de deux films réalisés à Gaza par des Palestinien·nes pendant le génocide en cours, le projet From Ground Zero et Pour l’Honneur de Gaza d’Iyad Alasttal. Nous avons par ailleurs été à l’initiative d’un stage intersyndical en mai 2025 où nous avons reçu des universitaires et juristes.

Quelles sont vos principales revendications ?

Notre association s’est créée au moment où la Cour Internationale de Justice rendait sa première ordonnance sur le risque plausible de génocide à Gaza. Notre première revendication est donc celle de l’urgence à arrêter ce génocide, maintenant amplement reconnu. Or, la France, qui vient de reconnaître l’État de Palestine, est complice de ce génocide, avec en 2024 une année record de vente de composants militaires à Israël !

Nous attendons donc de notre État qu’il arrête toute vente d’armes à l’État israélien, qu’il prenne des sanctions contre l’État israélien, notamment économiques : il faut rompre l’accord d’association de l’Union Européenne avec Israël ! Nous attendons aussi qu’il s’acquitte de ses devoirs en n’autorisant pas Benjamin Netanyahu, sous mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale, à traverser l’espace aérien français, en protégeant les ressortissant·es français·es présent·es sur les flottilles qui visent à briser le blocus de Gaza, en sanctionnant les Franco-israéliens servant dans l’armée d’occupation. Ou encore qu’il reprenne les évacuations de Gaza, attendues par des artistes, universitaires et étudiant·es qui n’ont plus que ce choix pour leur survie et leur avenir. L’impunité dont bénéficie l’État israélien doit cesser !

De manière plus générale, nous dénonçons aussi la colonisation et l’apartheid mis en œuvre par l’État israélien. La France a voté en septembre 2024 une résolution des Nations Unies imposant à l’État israélien de quitter sous 12 mois les territoires occupés, mais n’a pris aucune mesure pour imposer ce départ ! Nous attendons des actes concrets et non de simples déclarations.

Enfin, nous sommes scandalisés par la vague de répression qui touche le mouvement de soutien à la Palestine et demandons à ce que les intimidations, sanctions, gardes à vue touchant notamment les étudiant·es mobilisé·es s’arrêtent. Plus localement, nous soutenons Abdourahmane Ridouane, qui fait face à un véritable acharnement de l’État, et demandons sa relaxe.

Une revendication porte sur l’arrêt d’un jumelage entre la ville de Bordeaux et la ville d’Ashdod en Israël. Avez-vous des exemples d’autres villes en France ou en Europe qui se sont engagées sur la question du soutien à la Palestine ?

Effectivement, localement nous demandons l’arrêt du jumelage de Bordeaux avec la ville d’Ashdod en Israël, construite sur les ruines d’un village palestinien détruit en 1948, et qui participe activement au génocide en cours en bloquant l’aide alimentaire et en accueillant sur son sol les passager·es des flottilles illégalement arrêté·es dans les eaux internationales. La suspension n’est pas suffisante et elle est conditionnée à « un cessez-le-feu durable et un processus de paix », ce qui n’a pas de sens quand on voit comment l’État israélien bafoue tout cessez-le-feu (le Liban en est un exemple) et quand on entend Netanyahu affirmer le 11 septembre, « Il n’y aura pas d’État palestinien, cet endroit nous appartient ».

La ville de Barcelone, elle, a gelé son jumelage avec Tel Aviv-Jaffa « jusqu’au rétablissement du respect du droit international et du droit international humanitaire, et jusqu’à la garantie du respect des droits fondamentaux du peuple palestinien », ce qui a une tout autre portée politique. Le conseil municipal de Barcelone a aussi rompu ses relations institutionnelles avec Israël, comme Liège. La mairie de Dublin pour sa part a voté en 2018 de hisser le drapeau de la Palestine en soutien au peuple palestinien.

Les municipalités peuvent agir, contrairement à ce que considère la mairie de Bordeaux.

Éducation avec Gaza 33

Quand nous avons fait cette demande à la mairie de Bordeaux en 2024, il nous a été répondu que ce n’était malheureusement pas possible car la France ne reconnaissait pas l’État de Palestine. Pour autant, le drapeau n’a pas été hissé depuis cette reconnaissance le lundi 22 septembre ! Le conseil municipal de Naples l’a pour sa part hissé ce mardi, alors que l’Italie ne reconnaît pas la Palestine. À Copenhague, le conseil municipal a rebaptisé une place « place de la Palestine ». Les municipalités peuvent agir, contrairement à ce que considère la mairie de Bordeaux.

Il ne faut jamais s’arrêter de parler de la Palestine (…). Il faut s’informer et donner de la voix aux voix palestiniennes en lisant leurs ouvrages, en regardant leurs films, en suivant sur les réseaux sociaux les journalistes palestinien·nes qui sont des cibles privilégiées de l’armée d’occupation. 

Éducation avec Gaza 33

Face à l’horreur du génocide en cours à Gaza, beaucoup de personnes se sentent démunies et ne savent pas comment s’engager. Que leur répondre ? Comment agir pour soutenir la population gazaouie et le peuple palestinien ?

Comme nous l’avons dit, notre gouvernement est complice du génocide en cours et a beaucoup de leviers pour mettre fin à ce génocide. Il faut faire pression en participant aux rassemblements, manifestations et événements proposés.

Il ne faut jamais s’arrêter de parler de la Palestine. Aussi, il faut lutter pied à pied contre la propagande israélienne, contre la désinformation, contre la déshumanisation des Palestinien·es. Et il faut s’informer et donner de la voix aux voix palestiniennes en lisant leurs ouvrages, en regardant leurs films, en suivant sur les réseaux sociaux les journalistes palestinien·nes qui sont des cibles privilégiées de l’armée d’occupation. 

Notre association soutient Education4Gaza, une initiative palestinienne de cours sous des tentes, au camp Mawasi, portée par le centre de jeunesse de Watan, à laquelle vous pouvez faire des dons.

Nous accompagnons aussi de jeunes réalisateurs du projet From Ground Zero qui veulent évacuer Gaza pour poursuivre leurs études et avons créé une cagnotte pour l’un d’entre eux, Kareem Satoum, qui a été admis en 3ème année à l’Ensav, école publique de cinéma de Toulouse. Cette cagnotte lui permettra d’obtenir son visa étudiant.

Une façon de s’impliquer au niveau local peut être de rejoindre une association comme la vôtre, quels sont vos besoins ? Et comment vous rejoindre ?

Il est possible de nous rejoindre en adhérant à l’association via Helloasso. Nous avons besoin de toutes les bonnes volontés qui souhaitent s’investir dans la défense du peuple palestinien, de sa culture et de son droit à l’éducation pour nous aider à l’organisation des événements et nous apporter de nouvelles idées.

Nous nous réunissons aux Douves les premiers vendredis de chaque mois à 18h (sauf le 3 octobre puisque nous serons au Rocher de Palmer), et à partir de 17h30 les adhérent·es peuvent emprunter des livres de la bibliothèque que nous avons constituée. 

Travaillez-vous avec d’autres acteur·ices du tissu associatif local ?

Pour l’évacuation des réalisateurs palestiniens de Gaza, nous travaillons avec le P.A.V.E (Pôle Audiovisuel et Événementiel) à Lormont. Dans le cadre de Douves It en décembre 2024, nous avons collaboré avec l’association Douvances pour une lecture de poèmes dansée. 

Le Type est un média culturel réunissant les paroles d’artistes et d’acteur·ices du monde de la culture à Bordeaux. Dans une période comme celle que l’on vit, quel rôle peut jouer cette communauté ?

Le monde de la culture a un rôle considérable, car c’est une arme de résistance. Cette résistance passe par la programmation d’artistes palestinien·nes. Ainsi, la programmation de films palestiniens dans les salles de cinéma ou dans les festivals, comme c’est le cas avec le FIFIB qui propose plusieurs films, dont Palestine 36 d’Annemarie Jacir, permet au plus grand nombre de découvrir la Palestine.

Nous saluons aussi la représentation du 8 au 11 octobre au tnba dans le cadre du FAB (avec rencontre avec les artistes le 9), du spectacle de danse Gathering, par l’artiste palestinienne, Samar Haddad King. Les lieux d’exposition ou galeries de Bordeaux pourraient accueillir des expositions d’artistes palestinien·nes, comme l’a fait la galerie M à Paris avec l’exposition La Palestine comme métaphore

Participer à des événements de soutien, comme à la Guinguette Alriq le 17 septembre ou au Rocher de Palmer le 17 octobre, permet aussi de donner de la visibilité à la cause palestinienne. Mettre son talent au service de la cause est louable et utile.

Enfin, il nous paraît crucial que les structures culturelles s’inscrivent dans la campagne de boycott culturel. En effet, comme le souligne BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions), Israël utilise la culture comme « une forme de propagande pour blanchir ou justifier son régime d’occupation, de colonialisme et d’apartheid sur le peuple palestinien ».

Au-delà de l’événement prévu au Rocher de Palmer, avez-vous des projets ou actions à venir dans les prochains mois ?

Nous continuons de présenter le film Pour l’Honneur de Gaza d’Iyad Alasttal avec des projections prévues au cinéma les Colonnes de Blanquefort le 10 octobre (en présence du réalisateur), au cinéma Le Lux de Cadillac le 24 octobre et au cinéma de Montendre le 31 octobre. Nous envisageons d’ailleurs de créer un festival du cinéma palestinien sur Bordeaux avec des interventions de cinéastes palestinien·nes.

Par ailleurs, nous poursuivrons aussi nos rencontres avec des artistes, écrivain·es, universitaires palestinien·nes dans les mois à venir. Et nous continuons d’accompagner dans leurs démarches les artistes et étudiant·es qui cherchent à évacuer Gaza pour poursuivre leurs projets artistiques ou leurs études.

Et bien évidemment, nous ne cesserons pas de manifester pour maintenir une pression continue sur l’État français afin que cessent le génocide, la colonisation et l’apartheid.